Des Biopics en musique

Simon Riaux | 16 mars 2012
Simon Riaux | 16 mars 2012
Genre décrié, voire conspué, le biopic est devenu un genre à part entière, dont les itérations se sont multipliées ces dernières années. Force est de constater qu'il est bien plus vaste, multiple et passionnant qu'on veut souvent bien le dire, tout particulièrement quand il se penche sur l'existence de musicien. En effet, nombre de réalisateurs ont trouvé là matière à tordre les codes du récit, de la représentation, et ont plié le genre à leur style. Alors que débarque en grande pompe (900 écrans tout de même !) le Cloclo de Florent-Émilio Siri, l'occasion était trop belle de revenir sur quelques œuvres au style et concepts radicalement différents, pour des résultats parfois étonnants.


Ray, de Taylor Hackford

Commençons par la crème du biopic classique. Mimétisme sacerdotal, existence narrée par le menu, enfance traumatique et révélation salvatrice, zones d'ombres au combien humaines, le film passe en revue l'intégralité du cahier des charges de la biographie classiques. Sauf que Taylor Hackford est tout sauf un yes man sans saveur, et prend soin de ne pas ménager son sujet, quitte à prendre à bras le corps les démons de Ray Charles. Ajoutez à cela une forme Hollywoodienne mais non dénuée de style, une interprétation qui rime singulièrement avec imitation, mais demeure une impressionnante performance, et vous obtiendrez une sorte de mètre étalon indéboulonnable. Si Ray n'est pas la plus bouleversante œuvre d'art à avoir imprimé nos rétines, impossible de le reléguer au rang de produit désincarné, tant il est traversé par une passion qui en illumine le moindre photogramme.

 

 

La Môme, d'Olivier Dahan

Prends garde, vile Amérique, la France aussi a des stars à revendre ! La preuve avec cette vision d'Édith Piaf, qui fit fureur des deux côtés de l'Atlantique. Le film a fait date en moissonnant quantités de prix, sans oublier de propulser son actrice principale, Marion Cotillard au firmament des actrices mythiques, ce que des nuées d'adolescents étaient loin d'imaginer quelques années plus tôt, trop occupés à éreinter le bouton arrêt-image de la télécommande familiale, qui dans de nombreux foyers ne résista pas à l'édition VHS de Taxi. La Môme nous aura touchés, bouleversés parfois, en grande partie grâce à son timing. Trop récente pour avoir été oubliée, et trop datée pour être taxée d'illégitime, Édith Piaf était l'emblème idéal pour permettre à toutes les générations de spectateurs de communier ensemble, réunis par leur amour du cinéma, et d'une certaine culture française. En revanche, on trouvera beaucoup à redire sur le long-métrage à proprement parler : une structure en flash-back ampoulée et factice, un parterre de stars qui rappelle plus un concert des Enfoirés qu'un casting logiquement constitué, une facture visuelle aussi soignée que madérisée, et une performance d'actrice un tantinet étouffée par d'impressionnants maquillages.

 

 

Great balls of fire, de Jim McBride

Confier à Dennis Quaid, alors comédien en état de grâce en cette fin de Golden Eighties, l’incarnation du pape du rock’n’roll Jerry Lee Lewis semblait être une bonne idée au départ. Si il réussit à capter  tout le caractère impétueux et délirant du chanteur-pianiste sur scène,  enfilant avec conviction les tenues clinquantes  et la banane du héros des temps anciens du rock’n’roll, il s’avère moins intéressant quand il s’agit d’étayer le personnage côté jardin. En édulcorant le récit initial de Myra Lewis (incarné par Winona Ryder), alors 3° femme de Jerry Lee à l’âge d’à peine 13 ans, faisant du couple hors norme des innocents du Sud un peu largués plus que de véritables icônes du scandale, Jim McBride rate le coche en ce qui concerne la description d’un monde en pleine mutation et l’avènement du teenager, et se focalise essentiellement sur les outrances de son héros rock’n’roll qui elles valent plus que le détour.  Dans le même ordre d’idée, en limitant son récit à l’horizon 1958, Great Balls of Fire limite sa portée biographique et ne permet en rien de valoriser l’image primaire que l’on se fait d’une bête de scène qui perd peu à peu pied et se fait larguer par son public. Et même à ce niveau, Jim McBride se permet une autocensure regrettable en modifiant la célèbre apostrophe que lança Jerry Lee à Chuck Berry après avoir mis le feu à son piano, geste devenu emblématique dans la geste de la pop music, ce n’est pas '' Follow that, Killer!'' qui fut prononcé, mais bien'' Follow that, Nigger! ''… Cet éclat eut en fait des répercutions inattendues 10 ans plus tard lorsque Jimi Hendrix réitérera le même geste avec sa Stratocaster après avoir défié les Who mais ceci est une autre histoire Et comme dirait ce bon vieux Jerry Lee (qui est toujours de ce monde) : ''That's the devil's music!''

 

 


The Doors, d'Oliver Stone

Certes, il n'est pas interdit au fan hardcore de Jim Morrison de sentir la moutarde rock lui monter au nez, devant ce portrait plus que partiel, un brin caricatural et monomaniaque d'un des plus inoubliables artistes du vingtième siècle. Et pourtant, c'est également cette orientation qui vaut au film de siéger dans ce top, en cela qu'il ne constitue pas (contrairement aux deux exemples ci-dessus) un parfait panachage de la biographie de son héros, mais bien le reflet de la démarche personnelle d'un auteur. Passionné par les outrances d'individus en marge, Oliver Stone ne pouvait que rencontrer Jim Morrisson, et le réalisateur de laisser libre court à toutes les expérimentations possibles, électrisant l'image, syncopant le montage au gré de son inspiration, ou de sa vision d'une carrière éclair. Enfin, la perspective de redécouvrir Meg Ryan avant ses déboires chirurgicaux est en soi un très bon prétexte pour redécouvrir ce film mal aimé.

 

 

I'm not there, de Todd Haynes

Les biopics chronologies à la photo sépia vous ennuient ? Todd Haynes a pensé à vous et concocté un véritable film-concept, ou pas moins de six comédiens différents interprètent l'intouchable Bob Dylan. Maîtrisé de bout en bout, d'une sophistication qui ne faillit jamais, parfaitement adapté au matériau qu'il traite, le film saura réconcilier le cinéphile exigeant avec la mode de l'hagiographie. Mais à trop vouloir se détacher des poncifs du genre, le film prend le risque de ne contenter que les excités Dylaniens, et autres poseurs factices. Il appartiendra à chacun de trancher quant à la profondeur ou la posture de la chose, néanmoins, son refus du didactisme benêt et de l'interprétation clef en main forcent le respect.

 

 

Gainsbourg (vie héroïque) de Joann Sfar

Une chose est sûre, les petits yeux humides de la Team EL chantent les louanges de Joann Sfar, pour avoir demandé à Laetitia Casta d'interpréter Brigitte Bardot. Son film aura divisé la rédaction, devenue pour l'occasion une belliqueuse entité bicéphale, tout comme le scénario de ce biopic, qui hésite constamment entre conte et récit historique. On saura gré au réalisateur d'avoir su injecter sa réflexion graphique et énergiser ainsi une très sage mise en scène, jusqu'à dynamiter le schéma balisé de ce type de production. On n'apprendra que très peu de choses sur la vie de l'artiste qui n'ait pas déjà été écrit ou répété mille fois, mais ce qui importe ici est la force de l'hommage, la vie rêvée d'un anticonformiste tour à tour rêche et tendre.

 

Tina, de Brian Gibson

S'il est un cliché qu'Hollywood a parfaitement intégré, c'est bien l'aspect torturé de la plupart des grands artistes. Dès lors la caution de la réalité permet un patchwork pas forcément très recommandable cinématographiquement, mais à l'impact indiscutable : paillettes-hauts-bas-violence-abus-succès-tubes planétaires. L'académicien formaliste ne s'y retrouvera certainement pas, mais la ménagère tout comme le fan de la première heure fondent dès le générique. Avouons qu'ils sont aidés par les performances de Laurence Fishburne et Angela Basset, littéralement habités par les personnages. Une implication qui poussera parfois le spectateur à la limite du malaise, tant les scènes de destruction qui s'enchaînent sous ses yeux rappellent les déviances les plus glauques de la télé-réalité.

 

 

Le Roman d'Elvis, de John Carpenter

Trop souvent oublié lorsqu'il est question de biopic, le film est pourtant l'un des tous meilleurs exemples d'interprétation stupéfiante. Kurt Russell devient littéralement le King, en adopte les moindres traits, attitude, tic ou phrasé. On moque trop souvent ce type d'engagement, renvoyé dans les cordes de la vulgaire imitation, pour autant, le grand Kurt vient nous rappeler ici que le mimétisme, poussé à l'extrême, confine à l'art. Quant à John Carpenter, sa caméra a beau être encore très sage, et loin des audaces qui feront sa marque, il n'en fait pas moins preuve d'une belle maîtrise. Rien de très étonnant de la part d'un artiste qui marquera les cinéphiles autant par l'image que le son.

 

 

La Bamba, de Luis Valdez

Tout arrive. On peut être un prodige du rock encore mineur, mourir à 17 ans, dans un accident d'avion, et se retrouver avec un film dédié à ses exploits. Il se pourrait également que le film en question s'intitule La Bamba. Tout arrive. Plus sérieusement, le long-métrage a cela de passionnant qu'il narre une existence aussi dense que ramassée, où comment un adolescent d'origine mexicaine a pu se retrouver en quelque semaines à peine au sommet des charts américains, avant de voir sa carrière pulvérisée un soir de 1959. Exercice difficile et délicat que celui de raconter non pas ce qui fut, mais aurait pu être, rendre hommage à un destin brisé, comme ce fut récemment le cas avec Control, dans un registre différent.

 


 

 

 

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