Game of Thrones - Saison 1

Aude Boutillon | 13 juillet 2011
Aude Boutillon | 13 juillet 2011

En 2007, George R. R. Martin annonçait l'achat par la chaîne HBO des droits de son œuvre, la saga A song of ice and fire (Le Trône de Fer dans nos contrées). David Benioff et D. B. Weiss furent ensuite embauchés comme scénaristes et producteurs exécutifs de la série, dont chaque saison s'attacherait à adapter un tome de la saga, si toutefois la première rencontrait le succès public (difficile d'en douter à présent). Un carton littéraire, un univers de dark fantasy, une chaîne réputée pour ses programmes de qualités, un casting prometteur ? L'attente ne pouvait qu'être au rendez-vous, et avec elle la crainte d'expectatives trop poussées.

Dans un décor qui n'est pas sans rappeler le Moyen-Âge européen, les sept royaumes de Westeros sont dirigés par un souverain unique. Au Nord, aux portes de Winterfell, un gigantesque mur protège les populations de dangers incertains, sur lesquels on ose à peine mettre un nom. La première des menaces ? L'hiver, qui peut durer entre 10 et 50 ans. On nous promet d'étranges « Marcheurs Blancs », des dragons, on nous dépeint une fiction typique de Fantasy ; il n'en sera (presque) rien dans cette première saison adaptée du premier tome A Game of Thrones, où les éléments mythologiques font office de toile de fond à une lutte politique. Difficile alors de situer la série dans le temps et l'espace ; cela n'aura pas grande importance, tant la première saison de Game of Thrones a à cœur de creuser les relations entre des protagonistes aussi nombreux que passionnants, et de révéler au grand jour les sombres desseins qui les animent.

 

 

Game of Thrones est une épopée consacrée au pouvoir, ses vicissitudes et les convoitises qui l'accompagnent. Il défigure les visages les plus innocents, pervertit les esprits encore vierges de l'âpreté de leurs aînés, et conduit aux actes les plus impardonnables. Ici, pas de méchants ou de gentils pré-désignés, juste des rapports différents au pouvoir et à la cupidité. Ainsi Cersei Lannister (Lena Headey), épouse du roi Baratheon, nourrit-elle, derrière de chaleureux sourires, une ambition sans pitié ; il faudra, coûte que coûte, élever son rejeton au rang de souverain, pour enfin régner sur les sept Royaumes. Viserys Targaryen, fils de leader déchu, n'a, pour reconquérir le trône qui lui revient selon lui de droit,  pas le moindre remords à vendre sa douce sœur à une tribu de barbares au code d'honneur peut-être bien plus respectable que le sien. Cette avidité pour la puissance n'a d'autre possibilité que de se répercuter sur une progéniture qui constitue la vraie réussite de cette première saison, et sa substance première. L'une est promise au jeune Lannister, futur roi, dont elle devra assurer la descendance ; l'autre se refuse à toute révérence à l'égard du pouvoir. Un autre est précipité dans le vide après la découverte d'un secret destiné à le rester. Le jeune Joffrey, une fois promis au trône, cesse d'être un enfant pour se comporter en monarque en devenir. Dans tous les cas, chacun est sommé de se comporter en adulte. L'insouciance n'a pas sa place à la cour, pas plus que les sentiments. L'alliance surpasse l'amour, et la connivence l'amitié.

 


 

Les conseillers du Roi ne sont pas en reste, dans une demi-teinte perpétuelle, sans que l'on ne puisse définir l'ambigüité de leur comportement comme une réserve nécessaire à leur profession, ou bien l'expression d'une malhonnêteté conspiratrice. Le double-jeu est continu, et pas même dissimulé ; « vous ne devriez pas me faire confiance », susurre ainsi l'étrange Littlefinger à l'oreille de Ned Stark, dont il convoite l'épouse (impériale Michelle Fairley). King's Landing, cité impériale, n'est ainsi que mensonges, faux semblants et petits arrangements, où chacun gravite en fonction de l'ambition de son voisin.

Dans cette atmosphère dénuée de pitié, les plus faibles sont évidemment jetés en pâture au Destin, et, victimes collatérales de l'ambition de leurs pairs, n'en apparaissent que plus raisonnables. Tyrion Lannister (Peter Dinklage, qui a plutôt intérêt à recevoir son Emmy Award), ayant eu le malheur de naître nain dans une famille assoiffée de pouvoir et de conquête, porte ainsi un regard désabusé sur son entourage manipulateur et incestueux. Jon Snow, bâtard de Lord Stark, qui ne saura jamais trouver grâce aux yeux de son épouse, et contraint à un exil officieux, n'a d'autre choix que de s'engager dans la Garde de Nuit, où seul l'honneur est destiné à défendre les Royaumes de la menace siégeant derrière le Mur. Là aussi, la loi du plus fort règne, et seul le fils illégitime s'aventure à prendre la défense du balourd condamné à la faiblesse, et donc à la mort.

 

 

Face à ce constat de perversion humaine face au pouvoir, seule la maison Stark semble faire preuve d'un semblant d'honneur et de morale. Eddard Stark (Sean Bean), suzerain de Winterfell, accepte ainsi à contrecœur de devenir Main du Roi, après le mystérieux décès du précédent conseiller du monarque. Contraint de quitter le Nord pour rejoindre la Cour, il apparaît très souvent comme le rescapé de ce jeu de pouvoirs, et serait le plus à même de porter un regard sans concessions sur un royaume géré à grand renfort de connivences et de répliques belliqueuses à l'insubordination. L'enquête qu'il mènera sur la disparition de son prédécesseur ne fera que conforter ses suspicions... et précipiter sa perte.

Game of Thrones, dans sa dépiction d'un univers fait d'avidité et de complots, ne recule heureusement devant aucun tabou. L'inceste, l'exclusion, l'infanticide, sont autant de thèmes abordés sans détour, sans pour autant verser dans le sensationnalisme. Il suffit pour s'en convaincre de voir la sœur de Catelyn Stark, recluse dans un château perdu dans le ciel, laisser son enfant, pendu à son sein et proche de la débilité mentale, décider de la vie et de la mort de ses sujets, comme s'il s'agissait d'un jeu dont il était le maître. Le malaise est ambiant, pour venir parfois exploser au détour d'un regard glaçant, ou d'une caresse inappropriée. D'aucuns accuseront certaines scènes relativement explicites de verser dans la facilité ; on est tout de même très loin d'un Spartacus, malgré l'irruption maladroite de certaines scènes de sexe introduites dans le récit sans justification apparente (qui irait prêter attention aux longs discours de Littlefinger quand deux prostituées font mumuse ensemble dans la même pièce ? Point de vue féminin et réducteur s'il en est car nous les hommes on a tout bien retenu du discours / NDLR ! ). 

 

 

La série ne serait en outre rien sans l'interprétation d'un casting tout simplement prodigieux. Si les adultes sont irréprochables, la justesse des jeunes acteurs est à louer. Chacun prend son rôle très à cœur, qu'il s'agisse du détestable Joffrey, de la nunuche Sansa ou de l'effrontée Arya. Revenons également sur le charisme époustouflant de Jason Momoa, qui avait tout à prouver et parvient en un monologue ahurissant à apaiser toutes les craintes pesant sur lui pour son interprétation prochaine de Conan. Un regard brûlant, des muscles saillant, une voix ténébreuse, des... pardon, je m'égare (Ah ! Qu'est-ce que je vous disais ? NDLR !).

Ces multiples (et égaux, fait suffisamment rare pour être souligné) talents trouvent toute l'opportunité d'exploser à l'écran grâce à des dialogues brillants, au service de longues scènes d'échanges très bien écrits, prenant souvent le pas sur une action qui se fait très discrète. On regrettera à ce titre quelques ellipses qui seraient passées inaperçues si elles n'avaient été répétée à plusieurs reprises, privant presque systématiquement le spectateur de scènes de combat que l'on ne peut qu'imaginer grandioses, et qui contribueraient à dynamiser l'ensemble. Dans ces quelques moments, la frustration n'est alors pas loin. 

Mais il est surtout frappant de constater que la réalisation est tout simplement grandiose, tant d'un point de vue esthétique que scénaristique, et écrase en quelques plans, non pas la concurrence télévisuelle, mais purement et simplement la production cinématographique actuelle. La photographie est aussi léchée que la musique est appropriée, et la minutie apportée à la construction de cet univers semi-mythologique se ressent dans les moindres détails des décors et des costumes, ainsi que dans la création du langage des Dothraki.

 


 

La vraie qualité cinématographique serait-elle désormais à rechercher du côté de la télévision ? Game of Thrones va clairement en ce sens, en faisant suite à de nombreuses productions télévisuelles (Rome, The Tudors) faisant l'unanimité... et suscitant l'intérêt de pointures du cinéma. S'il y a quelques années, la carrière d'un acteur commençait à la télévision pour s'achever en tête d'affiches de blockbusters, la donne semble aujourd'hui clairement inversée, et à raison.

La fin de cette première saison d'exposition laisse quoi qu'il en soit peu de doutes sur la substance de la seconde, adaptation du tome intitulé « A clash of kings ». La guerre sera donc de mise, et avec elle les alliances et trahisons qui la caractérisent. La superbe renaissance de Daenerys Targaryen (envoûtante Emilia Clarke), jusqu'ici abordée en parallèle des tribulations des Sept Royaumes, devrait de plus troubler l'ordre établi. Enfin, « l'hiver arrive », et on ne peut que l'attendre avec impatience, après s'être fait conter par les Anciens les terribles évènements qui l'accompagnent. L'année va être longue.

 

 

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