Splice : interview de Vincenzo Natali

Vincent Julé | 2 juillet 2010
Vincent Julé | 2 juillet 2010

Tous ceux qui ont la chance de le rencontrer, vous le diront : Vincenzo Natali est juste le mec le plus sympa du monde. Le genre de bonhomme qui est à la fois humble et intelligent, et qui parle du cinéma avec une telle passion et une telle lucidité que l'on pourrait l'écouter pendant des heures. A Gérardmer, en février dernier, il nous a longuement parlé de son dernier bébé, Splice et nous vous proposons la version écrite mais aussi vidéo (en VO pour les puristes) de ses propos. 

 

 

L'origine du film

La première fois que j'en ai eu l'idée... c'était il y a longtemps, je dirais 12 ou 15 ans. Et c'est venu d'une souris, mais pas n'importe quelle souris, vous avez du en entendre parler, une souris qui avait une oreille greffée sur le dos. J'ai d'ailleurs appris que ce n'était pas une vraie oreille humaine, mais une armature, avec du cartilage de vache. L'idée était de voir s'ils pouvaient se développer ensemble et refaire la même chose avec une oreille d'humain. De toute façon, pour moi, ça avait l'air d'une souris avec une putain d'oreille dans le dos ! Très perturbant ! Cela m'a fait penser à plein de choses, une peinture de Dali par exemple, et j'étais fasciné que quelque chose de si fantastique puisse être le résultat de la science pure.

Puis avec mon co-scénariste, avec qui j'ai d'ailleurs fait mes études de cinéma, nous avons écrit un court-métrage que nous avons décidé d'allonger. Mais cela a mis du temps, plus que par exemple aux scientifiques de décrypter le génome humain. J'ai failli le faire il y a 10 ans, mais non. Et d'une certaine façon, je dirais que ce film devait se faire, voulait se faire, comme s'il avait une force propre. Et nous voici en 2010, et enfin, le film est fait, fini.

 

 

Splice, un film de monstre ?

Oui, c'en est un, même si je parlerai plus de créature. Ce n'est pas la même chose, une créature n'est pas vraiment monstrueuse et cache plus d'humanité.  Mais c'est un film de créature mêlé (« spliced ») à une histoire d'amour, de relation. Et c'est ce qui le rend unique. Il s'agit bien sûr de revisiter le mythe de Frankenstein. Du moins c'est d'où je voulais partir pour arriver tout autre part, dans le contexte du 21e siècle.

 

 

La genèse de la créature

Dren, j'ai commencé à la dessiner jute après avoir terminé la première version du script, donc il y a 12 ans... et j'ai fait appel au fur à mesure à différents artistes, avec cette idée que nous voulions qu'elle soit biologiquement possible, crédible, réelle. Et nous sommes aussi partis dans la direction, contraire à celle acquise, que de petits changements sont plus troublants et effrayants que les gros. Le processus a été long, il y a eu beaucoup de tests visuels... il y a donc eu une frustration d'attendre une décennie pour qu'elle prenne forme, mais c'est peut-être la meilleure chose qui soit arrivé au film, qu'il soit réalisé aujourd'hui, avec toutes les techniques qui ont évolué. Je ne suis pas sûr qu'on aurait pu aboutir à un tel résultat il y a 10 ans.

 

 

Delphine Chanéac

Delphine est Dren, c'est un fait ! C'est une actrice extraordinaire, que nous avons rencontrée par hasard et par chance. Elle a été la première personne à entrer dans la pièce pour les castings. Elle était tellement formidable que nous arrivions pas à y croire, c'était impossible, et donc nous avons continué le casting avant de revenir vers elle. Delphine a en elle cette androgyne et étrangeté... un côté enfantin, vulnérable, mais aussi agressif et potentiellement effrayant. Et bien sûr séductrice. Elle a vraiment su passer par toutes les émotions que Dren traverse dans le film. Elle a travaillé dur, s'est beaucoup entraînée avant le tournage. La façon de se mouvoir vient ainsi d'elle. Je pense que Delphine est le plus bel effet spécial de Splice.

 

 

Doit-on avoir peur de la science ?

Non, pas du tout. Et j'espère que ce n'est pas le message que vont percevoir les spectateurs. Même si... des choses terribles arrivent à cause de cette science. Je ne suis moi-même pas opposé à la recherche génétique, je pense que contrairement à Frankenstein et sa lecture du Prométhée moderne, le message n'est pas « Ne volez pas le feu de Dieu !», mais plutôt «  Quant vous avez le feu, qu'est-ce que vous en faites ? ». Les scientifiques interprétés par Adrien Brody et Sarah Polley  connaissent tout du génome humain, de comment est fait un être humain du point de vue moléculaire, mais dès qu'il s'agit de comprendre la vie dans son essence, d'un point de vue plus émotionnel et philosophique, c'est plus compliqué. Et c'est là qu'ils font des erreurs. Ils ne sont pas prêts à avoir un enfant à eux, donc imaginez avec Dren.

Jouer avec la vie est un drôle de business, c'est extraordinaire, et c'est encore la preuve que la réalité dépasse la fiction. Je me rappelle une expérience, assez commune, qui m'a été expliquée. Ils prennent une mouche, qui partage de nombreuses combinaisons génétiques avec l'homme, on y penserait pas et pourtant, et ils prennent le gène de l'œil humain et ils le répliquent. A la fin, on se retrouve avec une mouche recouverte d'oeils sur tout le corps. Pour quelqu'un comme moi qui a grandi en adorant les monstres, on ne se lasse jamais de ce genre d'histoires. C'est pourquoi j'essaie toujours de rester le plus proche possible de la science.

 

 

Un film séduisant pour les femmes ?

Je serais très content d'entendre que le film est plus pour les femmes que pour les hommes. Etant qu'homme, je ne peux juger. Mais je comprends, du fait du personnage si fort de Sarah Polley, parce que c'est avant tout une histoire mère-fille... j'espère donc que le film parlera beaucoup aux femmes. C'est aussi de ce point de vue qu'il s'éloigne du Frankenstein de Mary Shelley, qui est une histoire père-fils.

 

 

 

Une fin ambiguë ?

Oui, nous ne savons pas, nous laissons une porte ouverte. Tous mes films se finissent sur une note ambiguë, j'aime beaucoup ça. J'aime être laissé à la fin d'un film avec des questions sans réponses. Pas beaucoup, mais quelques-unes, pour stimuler l'imagination et se faire sa propre conclusion.

 

 

 

L'influence de Cronenberg

Je dirais ça : j'ai volontairement évité David Cronenberg lorsque je travaillais sur Splice. Pas lui personnellement, mais de répliquer ce qu'il fait. C'est tellement son univers, sa chasse gardée. Lorsque vous vous aventurez dans le « bio horror », c'est étiqueté David Cronenberg, Mais je ne peux m'en empêcher, j'ai grandi avec ses films, c'est un peu dans mon ADN. Mon subconscient aussi. Et ça ressort tout seul. Je n'avais jamais fait le lien avec Scanners pour la présentation officielle sur scène des deux pré-créatures, mais oui, vous avez raison, on peut le faire. Mais il y a d'autres et différentes influences sur le film. Steven Spielberg avec E.T., François Truffaut avec L'enfant sauvage, David Lynch aussi, James Whale et son Frankenstein bien sûr, et beaucoup de ma vie personnelle. J'espère qu'il y a dans Splice, des éléments que vous avez vus ailleurs, mais qui combinés ensemble donne quelque chose de nouveau et d'unique.

 

 

 

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