Berlin 2010 Jour 2

Laurent Pécha | 15 février 2010
Laurent Pécha | 15 février 2010

Berlin 201 : Dimanche 14 février

« Films, Ich Liebe sie »

Une journée de la St Valentin placée sous le signe du mal de crâne et du mode zombie...Cela m'apprendra à me la jouer jeune et vouloir écumer les boîtes branchées de Berlin...Nuit blanche au programme et direction dès 9 heures du matin vers le nouveau Zhang Yimou. Un challenge excitant : peut-on voir un Yimou en n'ayant pas fermé l'œil de la nuit...Au bout de 95 minutes rondement menées et quelques clignements de paupière, la réponse est oui. Mais pour cela, il faut dire merci à ma charmante collègue allemande qui m'a réveillée avant le début de la projection pou récupérer le siège libre à mes côtés. Et surtout un immense merci au cinéaste chinois de nous avoir livré un film totalement déjanté sous influence frères Coen, Tarantino et westerns spaghetti sans oublier du xu wia pian (mais ça, c'est plus logique).

 

 

Dès le titre, A woman, a gun and a noodle shop, Zhang Yimou annonce la couleur : « oubliez ce que j'ai pu faire dans le passé, oubliez que je suis l'auteur du Sorgho rouge qui me révéla aux yeux du monde dans ce même festival il y a plus de 12 ans (Lion d'Or), je suis ici pour m'amuser comme un petit fou et si possible vous embarquer dans mon délire ». Adaptant très librement le Sang pour sang des Coen, le réalisateur s'essaye donc à un toute nouveau genre et parvient à coup de délires visuels proches de l'univers d'un Tex Avery, nous faire partager son enthousiasme juvénile. Une sacrée surprise au plaisir toutefois un poil trop éphémère qui n'aurait sans doute pas  sa place en compétition sans le prestigieux nom de son auteur.

 

Après cette expérience autre, un petit tour vers un lit fut nécessaire pour reprendre le fil des projections avec Submarino de Thomas Vinterberg. Soit le parfait film de la St Valentin lorsque vous n'êtes pas accompagné de l'élu(e) de votre cœur.  Le réalisateur danois nous plonge dans un drame familial des plus sombres sans pour autant jamais céder au glauque pourtant inhérent à un récit voyant deux frères tentés de (sur)vivre, adultes, au traumatisme de se sentir responsables de la mort de leur frère, alors nourrisson. Submarino n'est donc pas du tout un film gai : vie minable dans chambre sordide, père obligé de vendre de la drogue pour élever son fils, relation fraternelle inexistante suite au drame,...En terme de pathos, le charge est énorme et pourtant c'est tout le grand mérite de Vinterberg de ne jamais en rajouter, trouvant l'équilibre idéal entre ces deux vies brisées. A l'instar du titre qui désigne une méthode de torture faisant garder la tête de la victime sous l'eau, les deux personnages cherchent désespérément à trouver une lueur dans leur pauvre existence et le spectateur, de souffrir avec eux, face à ce chemin de croix plus d'une fois bouleversant.

 

Autre temps fort vécu ce coup ci par mon ghost writer à moi que j'ai (nettement plus sexy que Ewan sauf quand elle sort de boîte à 7 heures du mat) : Howl  de Robert Epstein et Jeffrey Friedman. Poétesse à ses heures perdues, ma ghost writer que l'on appelera Laure (tiens d'ailleurs c'est comme ça qu'elle s'appelle vraiment, oups presque fini le ghost writer)  n'a  pas été indifférente face à l'histoire de cet autre grand poète du XXe siècle que fut Allen Ginsberg, membre éminent et véritable porte parole du mouvement de la Beat Generation, dont faisaient également partie Jack Kerouac et William Burroughs. Ecole artistique et littéraire, souvent décrite comme un ramassis de drogués et d'illuminés, érigée en véritable symbole du mouvement hippie, la Beat Generation est avant tout un cercle de jeunes gens portant un regard critique sur l'Amérique de la post seconde guerre mondiale, son idéologie militariste et meurtrière, son puritanisme social et moral, son économie post-industrielle. Cette vision du monde c'est celle que les réalisateurs nous proposent à travers ce portrait illustré du poète et du procès qui lui fut intenté suite à la parution de son recueil intitulé Howl en 1957. Allen Ginsberg, incarné de façon troublante  par James Franco (qui va décidément se coller une étiquette d'acteur de rôles gays au cinéma, après Harvey Milk), se livre sous forme d'interview entrecoupée de flashbacks et de séquences d'animations, parallèlement à l'évolution de son procès, dont il est absent. Tout y passe : sa relation plus qu'amicale avec Kerouac, sa rupture avec Neil Cassidy, son histoire d'amour avec Peter Orlovski, sa conception de la poésie, sa technique d'écriture,... Le tout orchestré par une mise en scène moderne et un montage subtil mêlant quatre trames narratives différentes : l'interview de Ginsberg chez lui, les archives illustrant le récit du poète (les photos de Carl Salomon étant parmi les plus surprenantes) le déroulement du procès (jusqu'au verdict et  l'acquittement de l'accusé) et  une lecture des poèmes de Howl illustrée par des scènes d'animation fantasmagoriques, techniquement envoutantes. Un film en forme de portrait résolument original, servant un fond on ne peut plus intéressant, rarement exploré au cinéma ; un plaidoyer (porté par l'avocat de l'éditeur Lawrence Ferlinghetti, incarné par John Hamm) pour l'indépendance de la littérature et la libre pensée, dont la presse et les intellectuels feraient bien de s'inspirer en ces temps ci !

 

Et comme vous suivez avec une immense assiduité cette chronique berlinoise, vous avez noté que je ne vous ai toujours pas parlé de Henri IV que j'avais décidé de voir samedi soir avant d'aller jouer au dieu de la piste de danse, bière à la main. J'ai tout simplement eu envie  de vous garder le meilleur pour la fin car l'expérience Henri IV à Berlin, ce fut quelque chose.

 

 

Malheureux journaliste qui pédale un peu (ok beaucoup) dans la choucroute, je pensais voir un film en langue française sur un de nos prestigieux Rois. D'autant que celui-ci est joué par l'excellent Julien Boisselier avec à ses côtés notamment une très, très, très sexy Armelle Deutsch (amateurs de la demoiselle, vous aurez la possibilité de l'admirer tant elle montre de sa personne dans des scènes de sexe très crues). Sauf que le film est une adaptation du roman de l'écrivain allemand, Heinrich Mann et qu'il s'agit d'une coproduction à majorité allemande. Conséquence, c'est la langue de Goethe qui est à l'honneur et autant vous dire que découvrir une tranche de l'histoire de France avec des comédiens français (surtout dans le rôle titre) se faisant doubler, est une expérience pour le moins déconcertante. Si l'adhésion au récit m'est pour le moins ardue, la mise en scène et les partis pris visuels de Jo Baier ne font rien pour arranger la chose. Au contraire, Henri IV flirte plus d'une fois avec la ringardise et le côté cheap (malgré un budget de 19 millions d'euros) de Vercingétorix.  A l'instar de scènes de combats à des années lumières de la moindre bataille quelconque d'un film américain, le film multiplie les mauvais choix esthétiques (en point d'orgue, le massacre de la Saint Barthélémy partiellement occulté en hors champ) ne faisant ainsi jamais de l'ombre à la référence sur la période qu'est La Reine Margot. Dommage car Julien Boisselier se montre étonnamment convaincant dans un rôle casse gueule et le scénario laisse entrevoir quelques bonnes idées (l'ouverture d'esprit d'un roi face au fanatisme résonne de manière troublante au point de rendre très moderne et d'actualité la destinée de Henry de Navarre). Mais en l'état, Henry IV apparaît comme un pari fou, totalement bancal (les plans Z assumés ou non de la grande méchante, Catherine de Médicis) pour une œuvre qui aura sûrement du mal à trouver son public. L'accueil tiède du film venant confirmer ce sentiment.

 

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