Top science-fiction n°2 : Starship Troopers

Vincent Julé | 15 décembre 2009
Vincent Julé | 15 décembre 2009

Pour lancer le compte à rebours avant l'évènement Avatar qui sortira sur nos écrans le 16 décembre prochain, la rédaction d'Ecran Large a remis le bleu de chauffe et a recommencé à se plonger dans une classement impossible.

Après vous avoir proposé notre classement des 31 meilleurs films d'horreur dans l'histoire du cinéma, nous avons opté pour l'univers de la science-fiction et ainsi d'élire ce qui sont pour nous les 31 meilleurs films du genre. La règle de ne pas avoir plus d'un film par cinéaste ne s'applique pas ici (c'était au dessus de nos forces pour certains réalisateurs).

La seule règle que l'on a décidé d'appliquer (et qui sera critiquable comme beaucoup de règles) : un film qui était déjà dans notre classement de l'horreur ne pouvait pas réapparaître dans ce nouveau classement.  14 membres de la rédaction ont donc été invités à envoyer leur liste de leurs 70 films préférés.

A partir de ces listes, on n'a gardé que les films cités plusieurs fois par chacun d'entre nous. On a alors resoumis la liste finale à un vote pour obtenir le classement final que nous allons vous faire découvrir quotidiennement jusqu'au 16 décembre 2009 qui révèlera le numéro 1 de la rédaction.

Un éclairage par jour durant 31 jours sur des incontournables du cinéma de science-fiction.  Et en guest star pour commenter nos choix, on retrouve Vincenzo Natali, le réalisateur de Cube, Cypher, Nothing et du très attendu Splice, étant un parfait ambassadeur du futur de la science-fiction au cinéma.

 

  2- Starship Troopers (1997) de Paul Verhoeven

 

 

Vincenzo Natali : En parlant de ces films qui vieillissent bien, Starship Trropers le prouve de la plus belle des façons à chaque nouvelle année qui passe. Lorsque je l'ai vu la première fois en 1997, j'ai pensé que c'était un film fasciste déguisé en film anti-fasciste. Je ne pouvais avoir plus faux ! A le revoir maintenant, 10 ans plus tard, je me rends compte à quel point Starship Troopers a anticipé les évènements du 11 Septembre et l'invasion américaine en Afghanistan et en Irak.  Souvenez-vous de cette astéroïde qui frappe Buenos Aries, et que la Terre utilise comme prétexte pour envahir la planète Klendathu en oubliant poliment qu'ils exploitaient les Arachnides. Cela vous semble familier ? Il y a ce frisson orwellien qui contredit et se joue du mélodrame à la Douglas Sirk que vivent ces soldats et qui rend la vision de Paul Verhoeven inoubiable.


Ilan Ferry :

Mordant, cruel, drôle… ou quand la S.F. se fait subversive et politique. Certainement l’un des brûlots les plus virulents du cinéma.

Jean-Noël Nicolau :

Aussi divertissant que subversif, l’un des meilleurs blockbusters de l’histoire d’Hollywood.

Patrick Antona :

Prolongeant la veine cynique de son Robocop, Verhoeven nous offre une des plus magistrales leçons de cinéma, à la fois film de guerre violent et jouissif et parabole sur l’embrigadement idéologique en temps de crise.

Laurent Pécha

L’un des films les plus jouissifs du monde.

 

 

Etoiles, garde-à-vous ! est un ouvrage mythique et guerrier à la portée ambiguë exceptionnelle. Pas étonnant alors que le revêche Paul Verhoeven se soit penché dessus ! Pour rédiger son roman, Robert Heinlein s'était inspiré de son passé d'officier profitant des aventures de Juan Rico, jeune philippin engagé dans l'infanterie mobile, pour délivrer sa vision du nationalisme et du militarisme, celle-ci étant doublée d'une critique acerbe du communisme. Une aventure aussi musclée en terme d'action que burnée dans ses propos malgré sa publication à la fin des années 50. Un texte légendaire qui aura fait rêver quelques milliers de lecteurs à l'instar de James Cameron et Christophe Gans, entre autres, qui en fantasmeront même une adaptation. Si le premier livrera Aliens, le retour comme une alternative au texte de Heinlein, le second abandonnera pour se consacrer à d‘autres envies. Jusqu'à ce que Verhoeven ressorte le projet des cartons. Et bien qu'il avouera n'avoir jamais ni terminé ni apprécié le texte originel, il en signera une exceptionnelle transposition : en apparence édulcoré d'un certain pan politique, le propos sera enrichi d'une nouvelle lecture tout aussi trouble.  Un film porté en triomphe par des hordes de fans mais qui se verra malheureusement abaissé au niveau de pamphlet réactionnaire aux tendances « néonazies » et aux trop nombreux élans gores par quelques poignées de détracteurs... 

 


Retour en arrière: courant 1959, Robert A. Heinlein publie dans The Magazine of Fantasy & Science Fiction le tout premier roman d'anticipation militaire. Rebaptisé Étoiles, garde-à-vous ! en France, il connaîtra un succès incontestable pour les talents de narrateur de l‘américain. Mais c'est avant tout pour sa profondeur équivoque de la société que l'ouvrage se fera remarquer. Relatant le parcours d'un jeune soldat, engagé volontaire dans un bataillon d‘élite meurtrier, Heinlein s'attache à conter son évolution dans une société militariste confrontée à une race extra-terrestre nommée Arachnide. Le récit se concentrait sur sa formation, ses premières armes mais surtout son ascension dans la hiérarchie militaire, l'auteur se servant en fait de la fiction pour décrire une sorte de société qu'il juge comme potentiellement « parfaite ». Il n'en fait pas pour autant une apologie guerrière et martiale (bien qu'inspirée par Sparte) mais tente, au contraire, d'établir un système développé autour de la structure « Armée » et sensé rappeler quelques valeurs fuyantes à la jeune génération. Le plus subtilement possible, il fait apparaître de nouveaux personnages incarnant quelques bribes de son vrai tempérament : il n'hésite pas à souligner la légitimité d'une formation rigoureuse et jette un regard sévère sur les responsabilités de chacun. Par là, il assume son désir d'offrir aux Droits une vraie valeur honorable doublé d'un tribut honorifique : l'abnégation prend ici tout son sens et Heinlein désigne le sacrifice comme prix à payer. Ne lésinant jamais sur les allusions anticommunistes, le romancier, au travers de ces aventures sidérales à la stratégie parfaite, se réclamait piste de réflexion sur les morales défaitistes que dispensent les démocraties passées (et révolues dans l'histoire): droit de vote, maturité, responsabilités, droits et devoirs, épanouissement personnel... Pas un sujet n'échappe au génie agité qui n'épargne aucune situation d'une double lecture: il parvient ainsi, sous couvert d'une épopée de science-fiction, à amener le lecteur à accepter quelques valeurs détonantes.

 

 

Choquant et déroutant malgré sa véritable finesse, l'ouvrage, mis à part quelques provocations outrageantes, se pose là comme une référence absolue dans le genre et surtout un catalyseur remarquable quand à la création d'odyssées sidérales. Une source d'inspiration inépuisable qui suscitera à la pelle des vocations mais qui ne parviendra jamais à trouver d'épaules suffisamment fortes pour mettre en images les écrits de Heinlein. Jusqu'en 1997, année durant laquelle le mastodonte Verhoeven présente son interprétation de la chose qui s'illustrera instantanément tel l'un des monuments de la science fiction.


 

 

Verhoeven s'offrira même le luxe de prendre quelques libertés, le réalisateur étant plus attaché à dire ce qu'il pense de la politique américaine que de simplement faire une illustration du roman. Se séparant du côté un peu cheap propre à la SF des années 60, il taille aussi dans les détails stratégiques et matériels. Plus encore, il n'hésite pas à se séparer de plusieurs passages de l'ouvrage pour mieux se le réapproprier : le réalisateur s'affranchira totalement du discours originel en y insérant sa propre vision rebelle. L'ode pro militariste est donc mise de côté et est remplacée par un chant martial assumant totalement ses allures fascisantes pour mieux en dénoncer la tendance insidieuse. Le réalisateur de Total Recall, qui retrouve ici le scénariste de Robocop dix ans après les aventures d'Alex Murphy, extrapole l'héroïsme à son paroxysme, réhabilitant aussi la beauté aryenne et limite eugénique de ses héros parfaits et plastiques. Il fait même le pari risqué de faire de sa satire une apologie monstrueuse de l'abnégation sublime : il la ridiculisera au possible et repoussera le spectateur dans ses retranchements. Les détracteurs n'y verront aucunement le second degré et se lanceront dans quelques diatribes tournant à vide ! Car l'une des autres cordes que possède l'arc de Starship Troopers, c'est sa dimension purement distractive et pop-corn. Et l'efficacité spirituel du film de se battre avec la maestria de la réalisation et le grandiose spectaculaire des effets spéciaux novateurs.


 

Plus encore que la débâcle gore et outrancière du film, ce sont ses fameuses Arachnides qui se tireront la couverture : les CGI révolutionnaires employées sur Starship Troopers sont telles qu'on le surnommera même « le film aux 600 effets » ! Une réputation pas usurpée pour un sou puisqu'à la tête de l'animation de l'armée de bébête on retrouve Phil Tippett, ancien collaborateur de Verhoeven sur Robocop et adepte de la stop motion. D'ailleurs, s'il s'est reconverti dans la fabrication d'images de synthèse, c'est suite à une certaine déception sur le plateau de Jurassic Park. Tandis qu'il commençait déjà à préparer quelques plans, il s'était fait doublé par l'avancée de la nouvelle technologie et s'était vu relégué à un poste de superviseur dans le nouveau domaine, devant ainsi abandonner sa matière première! Il reviendra sur Starship Troopers, plus revanchard que jamais, proposant un panel d'innovations pour combler les délires guerriers du réalisateur. Lorsque ce ne seront pas des hordes de monstres insectoïdes  et numériques qui dévalent les flancs de montagnes pour assiéger quelques fortifications, Tippett et son atelier amènent sur place des créatures robotisées à échelle humaine! Ce qui n'empêche pas Verhoeven d'imiter les arachnides quand il s'agit de mettre en condition ses troupes. Parce que, hormis quelques figures légendaires du genre (Clancy Brown et Michael Ironside pour ne citer qu'eux), le réalisateur s'est entouré de quelques belles gueules à peine sorties des sitcoms dans lesquels ils se sont faits connaître: Casper Van Dien, Dina Meyer, Denise Richards ou Patrick Muldoon, ils proviennent tous de Beverly Hills 90210Melrose Place ou autres séries pour teenagers !


 

Un choix judicieux de la part du Hollandais violent qui brise leurs images, se servant de leurs sourires Colgate pour mieux vendre une idéologie fasciste et retord. Un désir de provocation bien connu des admirateurs du cinéaste qui jubile ici de pouvoir faire grincer des dents un plus large public : prenant au pieds de la lettre les quelques lignes conservée d'Étoiles, garde-à-vous !, il réitère ses exploits qui avaient lancé sa carrière orageuse lors de ses jeunes années européennes. Evinçant volontiers les annotations personnelles et convaincues de l'écrivain (le retournement de veste du patère de Rico en plein conflit par exemple), il se propose au contraire d'être père d'un space opera  durant lequel la catharsis tendra la main vers le dégoût, le sujet étant largement propice aux débordements outrageux et grotesques ! Et pour cause: le romancier évoque son désir d'imposer l'armée comme passage initiatique et comme permis de citoyenneté ? Verhoeven n'y va pas par quatre chemins et envoie des gamins d'une dizaine d'années au front ! Heinlein décrit une utopie où le racisme et la discrimination n‘existent plus ? Le réalisateur se propose de brouiller les pistes en mélangeant les classes sociales, pointant au passage du doigt un nivellement à la hausse : tous à la même enseigne, tous sont chair à canon... Une interprétation fascinante du roman  qui soudain rend les coups en  double !

 

 

Et tout cela dans une humeur chaleureuse et conviviale à l'instar de cette fameuse scène de douche collective que le metteur en scène acceptera de filmer nu comme un ver par solidarité avec ses comédiens ! Un tournage sur lequel chacun s'amuse à outrepasser les règles de bienséance, habillé de costume inspiré de ceux des SS et totalement conscient de l'énormité de la farce. Au point même que Van Dien, commençant à se prendre au jeu du Buck Rogers à la sauce G.I. Joe (l'acteur vient d'une famille dans laquelle on est militaire de père en fils), décide d'accomplir lui-même ses cascades: une fracture le refroidira assez vite, Verhoeven exigeant tout de même la présence de l'acteur sur le plateau ! Tout comme la belle Dina Meyer qui souffrira d'une commotion cérébrale suite à un affrontement musclé avec une arachnide... Des batailles que le réalisateur souhaite les plus brutales possibles : désireux de dépeindre les épisodes les plus violents de la Seconde guerre mondiale, il organise les prises de vues comme un général guidant ses troupes qui, portées par la folie ambiante et par les notes martiales de Basil Poledouris diffusées sur le plateau, débarquent réellement pour contrer l'ennemi. Un adversaire décrit comme une monstruosité biologique (les différentes races de parasites sont absolument repoussantes) et une chimère démoniaque (ils mutilent et vont même jusqu'à aspirer le cerveau) alors même qu'est occulté le fait que l'envahisseur est en fait... l'humain ! Une stratégie qui reflète bien la perversité du réalisateur et qui, reproduisant même quelques plans de Zoulou pour mieux en souligner l‘incohérence, s'amuse de l'émotion et de l'excitation que le spectateur puisse tirer de ce spectacle résolument jouissif !

 

Car vous l'aurez compris, Starship Troopers avec ses deux faces (la dénonciation et le divertissement pour adultes) est un énorme chef d'œuvre aussi délirant qu'exigeant, aussi provocant que pertinent et surtout un monument de science-fiction intemporel ! Un colosse génial avec qui on a presque envie de crier pris d'une frénésie enthousiaste et irréfléchie : « ... à la guerre! On va à la guerre ! »

Florent Kretz  

 

 

 

 

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