Top science-fiction n°3 : Blade Runner

Vincent Julé | 14 décembre 2009
Vincent Julé | 14 décembre 2009

Pour lancer le compte à rebours avant l'évènement Avatar qui sortira sur nos écrans le 16 décembre prochain, la rédaction d'Ecran Large a remis le bleu de chauffe et a recommencé à se plonger dans une classement impossible.

Après vous avoir proposé notre classement des 31 meilleurs films d'horreur dans l'histoire du cinéma, nous avons opté pour l'univers de la science-fiction et ainsi d'élire ce qui sont pour nous les 31 meilleurs films du genre. La règle de ne pas avoir plus d'un film par cinéaste ne s'applique pas ici (c'était au dessus de nos forces pour certains réalisateurs).

La seule règle que l'on a décidé d'appliquer (et qui sera critiquable comme beaucoup de règles) : un film qui était déjà dans notre classement de l'horreur ne pouvait pas réapparaître dans ce nouveau classement.  14 membres de la rédaction ont donc été invités à envoyer leur liste de leurs 70 films préférés.

A partir de ces listes, on n'a gardé que les films cités plusieurs fois par chacun d'entre nous. On a alors resoumis la liste finale à un vote pour obtenir le classement final que nous allons vous faire découvrir quotidiennement jusqu'au 16 décembre 2009 qui révèlera le numéro 1 de la rédaction.

Un éclairage par jour durant 31 jours sur des incontournables du cinéma de science-fiction.  Et en guest star pour commenter nos choix, on retrouve Vincenzo Natali, le réalisateur de Cube, Cypher, Nothing et du très attendu Splice, étant un parfait ambassadeur du futur de la science-fiction au cinéma.

 

  3- Blade Runner (1982) de Ridley Scott

 

Vincenzo Natali : En 1982, j'ai été voir Blade Runner le premier jour de sa sortie. Lorsque le nom d'Harrison Ford est appru sur le grand écran, une rengée de jeunes filles s'est mise à crier d'excitation devant moi. C'est qu'elles s'attendaient sûrement à voir le côté romantique d'Indiana Jones. A la place, elles ont eu le laconique et hard boiled Rick Deckard. Blade Runner est l'un des plus beaux futurs retro et noir. J'étais ravi, c'était de l'heroïne pour les yeux. Les critiques étaient déstabilisés par les effets visuels à couper le souffle, qui, selon eux, détournait l'attention des personnages et de l'histoire. L'histoire prouvera qu'ils avaient tort. Blade Runner est une film humaniste, qui mêle romance et nostalgie avec des idées sur l'écologie, l'identité, la mémoirire et tout ce qui signifie être humain.


Ilan Ferry :

Tout simplement le plus grand film de science fiction après 2001.

Jean-Noël Nicolau :

Toutes les années 80 en un film.

Flavien Bellevue :

D’une noirceur et d’une puissance visuelle époustouflantes,Ridley Scott signe un nouveau chef d’œuvre de la S.F juste après Alien avec un Harrison Ford au sommet.

Patrick Antona

Le premier film noir futuriste, énigmatique et dépressif, et dont le visuel clinquant demeure toujours aussi captivant, malgré un scénario qui oublie parfois ses références littéraires.

 

 

Blade Runner est une œuvre trouble qui sait se faire tout aussi éblouissante que nébuleuse et étourdissante. Une pièce d'art à part qui sera désavouée dès ses premières heures, rejetée lors de sa sortie puis, enfin, considérée comme il se doit telle une authentique et magistrale prouesse esthétique et dramatique. Un film d'une richesse inépuisable et qui se révèle être une redoutable et passionnante fenêtre sur l'âme (à l'instar de 2001, l'odyssée de l'espace ou du Solaris de Tarkovski par exemple), brassant une multitude de thématiques philosophico-ésotériques (la vie, la mort, le temps, Dieu...) avec le respect et la sagesse mérités. Adaptation très libre d'un roman de Philip K. Dick, Blade Runner en reprend plus simplement les fondements et les questionnements tout en s'appliquant à ne jamais perdre le spectateur dans les méandres sans fond qu'implique ce genre de sujet. Car pour Ridley Scott, les aventures de Deckard, détective lancé aux trousses des Réplicants, sont avant tout un divertissement! Une manière pas inintéressante d'appréhender ce monument de complexité tout en restant abordable...

 

 

 

D'ailleurs, la délicatesse dont nécessite le projet est une évidence pour tous. Au point même que les premières propositions autour de l'univers de K. Dick se révèleront pour le moins déplorables: les tentatives se suivront esquintant et dénaturant toujours un peu plus l'œuvre de l'écrivain. Remise en situation: en 1966, Philip K. Dick, sombre romancier paranoïaque déjà auteur de Le temps désarticulé et de En attendant l‘année dernière, signe Les androïdes rêvent-ils de moutons électriques ? Publié deux ans plus tard aux Etats-Unis, le texte oppose l'humain à la machine, thématique qui permet à l'écrivain d'expier ses angoisses face à la froideur des ses congénères et de la comparer à l'amour naissant qu'il entretient avec sa nouvelle compagne. Dans son ouvrage, il décrit un univers dans lequel les androïdes semblent acquérir une nouvelle forme d'émotivité tandis que les humains régulent leurs humeurs et s'aliènent de nouvelles technologies. Même s'il ne connaîtra que bien plus tard le succès qu'il mérite, K. Dick est approché dès 1969 par le jeune Martin Scorsese qui souhaite en faire une adaptation : suite à quelques discutions le projet est abandonné et le réalisateur renonce à obtenir les droits du bouquin.  Quelques années plus tard, Robert Jaffe les obtient par l'intermédiaire de sa maison de production : il rédige un script humoristique, détournant sans scrupule l'intrigue pour en faire une farce d'anticipation. K. Dick lui souffle dans les bronches et les droits sont remis en vente. 1978, Hampton Fancher, acteur dans des programmes télévisés (Bonanza par exemple) écrit une adaptation véritablement pessimiste qui séduit quelques producteurs. Michael Deeley, producteur du Voyage au bout de l'enfer, embauche David Webb Peoples pour reprendre l'écriture. Le futur scénariste de Ladyhawke et de Impitoyable se met à l'œuvre et boucle la version définitive.

 

 

 

Parvenant à convaincre la société Filmways Inc de mettre des billes dans l'entreprise, on se met à la recherche d'un réalisateur. Si Micheal Apted (Gorilles dans la brume), Bruce Beresford (Miss Daisy et son chauffeur) et Adrian Lyne (L'échelle de Jacob) refusent aussitôt, Ridley Scott, ancien publiciste ayant connu la gloire en passant à la réalisation (Les duellistes et Alien, le huitième passager) laisse présager un minimum d'intérêt pour l'adaptation. Malheureusement, il lui préférera celle de Dune, projet colossal qui lui tend les mains. Plusieurs mois plus tard, il reviendra sur sa décision, la transposition du roman de Frank Herbert n'avançant pas. Avec un budget de plus de quinze millions de dollars, il accepte de mener à bien l'entreprise et se lance dans les castings. Sans jamais avoir lu le roman original (tout comme David Webb Peoples !), il ne prend pas compte des annotations de K. Dick : ce dernier  aurait en effet signifié ses inspirations (Robert Mitchum pour Deckard) et ses souhaits. A la place, Scott rencontre une flopée de comédiens sans vraiment savoir ce qu'il attend réellement: Tommy Lee Jones, Gene Hachman, Sean Connery, Nicholson, Eastwood... Tous ou presque y passent, le réalisateur croisant même Schwarzenegger et Pacino ! Au final, c'est Dustin Hoffman qui retient son attention mais le comédien ne conçoit absolument pas le projet de la même manière et renonce au rôle. Ce sera finalement Harrison Ford, nouvelle icône du cinéma de science-fiction avec son personnage de Ian Solo dans La guerre des étoiles, à qui reviendra l'imperméable de Deckard.

 

 

Mais s'il ne savait pas vers quelle piste aller avec le lead character, Scott évoque expressément sa volonté de travailler avec Rutger Hauer, acteur fétiche de Paul Verhoeven qu'il a découvert dans Soldier of Orange ou Turkish Delight. Celui-ci obtiendra immédiatement le rôle de Roy Batty, réplicant en chef et surtout figure absolue de l'univers de Blade Runner. Une collaboration qui se révélera l'une des grandes forces du métrage, Hauer sublimant littéralement son personnage, réécrivant lui-même ses dialogues et leur insufflant une puissance et une poésie phénoménales. Le rôle d'une vie pour cet acteur malheureusement trop sous-exploité et qui se laisse progressivement habité par la mélancolie et la grâce émotionnelle titanesque de Blatty, l'acteur de La chair et le sang proposant même les images les plus fortes du film comme celle de la colombe sous la pluie... Une force tranquille que Scott souhaite retrouver dans l'ensemble de son film : lorsqu'on lui soumet Deborah Harry, plus célèbre en tant que Blondie, pour interpréter la belle et robotique Pris, il convoque Monique van de Ven, autre collaboratrice de Verhoeven. Le rôle incombera finalement à Daryl Hannah. Quand à celui de Leon, autre réplicant et incarnation violente aux tendances matricides, Ridley Scott renvoie le tout juste engagé Frank McRae (1941, Last action hero), lui préférant Brion James (La chair et le sang) celui-ci ayant terrorisé la directrice de casting ! Enfin, pour jouer la belle Rachel, Scott refuse Victoria Principal (désirée par K. Dick) et embauche Sean Young.

 

 

 

Tandis que la préparation se fait, une malédiction semble s'abattre sur le projet. Tout d'abord, Philip K. Dick, qui apprécie peu que l'on ne prenne pas en considération ses avis, fait paraître dans différents magasines sa vision d'un projet qu'il décrit comme catastrophique. Allant même plus loin, il va jusqu'à dévoiler les soi-disant  inepties du scénario. Les réactions attendues par le romancier sont immédiates : devenu entre temps une star en Europe, le film, avant même sa production est boycotté ! Du coup, à quelques semaines des premières prises de vue, Filmways Inc se retire de l'entreprise et décide de reverser les quinze millions à De Palma pour qu'il puisse mettre en boite son Blow out ! Contraint de trouver la somme pour assurer la survie du projet, Micheal Deeley ne met que quelques jours pour relancer la production : face au refus de la Universal, de la 20th Century Fox et de United Artists, il obtient sept millions du hongkongais Sir Run Run Shaw, huit millions de la Warner Bros par l'intermédiaire de la société Ladd Company et fait un deal avec Tandem Pictures. Ces derniers proposent d'investir dans un premier temps sept autres millions puis de couvrir le film, le final cut leur revenant si le budget dépasse de plus de 10 %. Parti avec 22 millions de dollars, la production se conclura avec un dépassement de six millions : la direction artistique appartenant maintenant aux producteurs, le film en payera plus tard les pots cassés !

 

 

 

Contraint de convier un peu plus Philip K. Dick à la conception, Scott n'attend pourtant pas plus de lui qu'il s'investisse dans la chose : il ne s'adresse d'ailleurs pas une seule seconde à lui pour obtenir quelques informations sur les détails de l'univers, le réalisateur et le romancier ne se rencontrant pour la première fois qu'après quelques jours de tournage. Un tournage rude et épuisant, Scott ne dérogeant en aucun cas à sa réputation de réalisateur méticuleux et gentiment tyran. Une manière de travailler qui a donner du résultat lors de ses tournages sur ses terres natales britanniques mais qui font monter la pression sur le plateau hollywoodien : après deux semaines passées à tourner quelques séquences, Scott reproche à son chef opérateur de faire une lumière plate et ordonne que l'on retourne l'intégralité des scènes ! Avec un plan de travail qui est dépassé de plus d'une dizaine de jours, les choses commencent à mal tourner. D'autant plus que les relations commencent sérieusement à se détériorer : Scott y va même de son petit commentaire lors d'une interview, propos qui sont très mal pris par l'équipe lors de leur diffusion ! Entrant en véritable guerre ouverte, les techniciens portent maintenant des t-shirts insultant le réalisateur qui a, heureusement, bien mieux à faire que riposter. En effet, de sérieux désaccords se font connaître entre la star Harrison Ford et le metteur en scène sur le fond de l'histoire. Si le premier soutient que l'intégrité artistique du projet se tient dans le mystère fait sur la véritable nature de son héros, Scott n'en est pas du même avis... Dialogue de sourd qui se soldera par une implication minime de l'acteur. Lorsqu'on lui demandera, par exemple, d'enregistrer une voix off, il accomplira le minimum syndical refusant de s'appliquer dans quelque chose qu'il juge stupide. Les deux hommes resteront fâchés.

 

 

 

Une entente houleuse qui se répercute du coup sur le reste de l'équipe à commencer par Sean Young, diva légendaire, qui se plaint bientôt du comportement revêche de son partenaire. Pour lui donner raison, Ford la violentera réellement lors d'une prise et pour finir désertera même le plateau dès qu'il en aura l'occasion. Obligé de contrer le sabordage, Scott fera jouer un peu plus que de raison Vic Armstrong, la doublure de l'acteur. Mais la mise en images de ce que l'équipe appelle dorénavant Blood Runner est tout de même muée d'une énergie magnifique. A commencer par celle de Syd Mead, jeune graphiste ayant travaillé sur le premier Star Trek et embauché par la production pour croquer les accessoires et le design des véhicules : Scott charmé par le zèle du gamin (qui dessine des backgrounds surprenant pour mettre en valeur ses créations) le chargera carrément de quelques décors et de la réalisation de quelques matte paintings ! Un travail influencé par un des camarades de Scott, le français Moebius qui avait déjà officié sur Alien, le huitième passager et qui malheureusement ne peut rejoindre l'entreprise. Scott appuiera tout de même le design général sur son travail ainsi que sur celui de Edward Hopper et sur les bandes dessinées parues dans Métal Hurlant. Scott demande au génial Douglas Trumbull d'imiter, pour les miniatures, l'architecture de Frank Lloyd Wright et va même tourner quelques séquences à l'Union Station et au sidérant Bradbury Building.

 

 

Avec des décors impressionnants de réalisme et fourmillant de détails (jusqu'aux inscriptions dans les parcmètres pourtant invisibles à l'écran), le film est encore une immense illustration de ce que l'on a fait de plus ambitieux au cinéma. Une démesure qui prend tout son sens dans cette affolante maquette de plusieurs m² sur plus de trois mètres de hauteur et sensée représenter la Cité des anges de demain : il faudra plus de dix milles ampoules pour illuminer la ville du futur ! Une vision encore accentuée par le sens inné de Ridley Scott dans la composition de cadre, celui-ci utilisant perspective forcée ou tout autre stratagème pour rendre le rêve possible, le tout sur les nappes synthétiques et hypnotiques d'un Vangelis au mieux de sa forme. Un rêve en apparence puisque le cauchemar continue bel et bien. Ayant dépassé le budget alloué, Scott et Deeley sont renvoyés du projet, le montage étant assuré par les producteurs. Les projections tests seront telles que les deux seront instantanément réembauchés pour reprendre le contrôle de la chose. Le résultat sera le chef d'œuvre absolu que l'on connaît. Un film légendaire qui connaîtra pourtant une longévité houleuse par la suite. Pour s'octroyer les faveurs du public test qui n'assume toujours pas de voir un Ian Solo nonchalant, blasé et impuissant, on ajoute un plan montagnard volé dans les rushs rejetés par Kubrick lors du montage de Shining !

 

 

Un plan qui n'a l'air de rien mais qui pourtant change énormément la teneur du film. Car Blade Runner, avec ses quelques sept versions  (lire notre test de l'édition  ultimate 5 DVD pour connaître les différences de montage), est de ces films protéiformes qui s'offrent au spectateur à condition que celui-ci se laisse envahir. Une démarche qui ne sera malheureusement pas au rendez-vous, le film ne parvenant même pas à rentabiliser son budget lors de sa sortie ! Une œuvre dantesque et inépuisable qui sera pourtant parvenue à convaincre le plus délicat des spectateurs: K. Dick (qui mourra quelques semaines avant la sortie du film) se délectera des quelques quarante premières minutes et se dira troublé d'avoir pu croiser du regard son fort intérieur... Une déclaration qui sera accompagné d'un mea culpa, l'auteur insistant sur la dimension complémentaire du film de Scott par rapport à ses écrits. Au point même qu'il refusera du coup de rédiger la novélisation du film jugeant que les deux œuvres se suffisaient à elles-mêmes. Et pour cause: si Les androïdes rêvent-ils de moutons électriques ? est un roman d'anticipation qui appel à la réflexion sur quelques thèmes généraux, Blade Runner est lui un métrage introspectif et viscéral s'apparentant plus à un rêve éveillé car un réel divertissement. Une sorte de vision chimérique donnant sur un microcosme régit par ses lois et ses concepts, un songe brumeux dans lequel le héros navigue passivement et de manière tout à fait réaliste. Blade Runner ouvre les portes sur une autre réalité, sur un univers trop abondant pour être abordé ou désigné, une sorte d'entité à part entière à laquelle il faudrait consacrer une vie pour commencer à en comprendre les rudiments. Une envolée sensationnelle portée par des moments grandioses. A commencer par ce monologue de Roy Batty qui, en plus d‘être l‘un des plus beaux textes de l‘histoire du cinéma, soudain, rappelle l'essence même des choses...

 

" J'ai vu tant de choses que vous, humains, ne pourriez pas croire. De grands navires en feu surgissant de l'épaule d'Orion. J'ai vu des rayons fabuleux, des rayons C briller dans l'ombre de la porte de Tannhäuser. Tous ces moments se perdront dans l'oubli, comme les larmes dans la pluie... Il est temps de mourir. "

 

Florent Kretz

 

 

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