Alejandro Amenábar (interview carrière)

Laurent Pécha | 6 janvier 2010
Laurent Pécha | 6 janvier 2010

A l'occasion de la sortie française d'Agora le 6 janvier 2010, Alejandro Amenábar revient sur une filmographie hétérogène et passionnante. Il commente les films qui lui ont permis de devenir en une quinzaine d'années l'un des réalisateurs espagnols les plus intéressants du moment.

 

 

A PROPOS DE TESIS (1996)

« Je pense que j'ai fait ce film pour m'amuser, en l'inscrivant dans des genres que j'aimais beaucoup : le film d'horreur et toutes ces genres similaires... J'ai repris des choses que j'avais souvent vues dans les films espagnols tout en essayant d'apporter quelque chose de nouveau. J'ai par exemple joué avec les codes de ce genre et je trouve que c'est une proposition fraîche et osée par rapport aux films espagnols de l'époque... ... Aujourd'hui, quand je le revois, il y a beaucoup de choses que je changerais. Par exemple, le film a un problème dans le troisième acte : il tourne un peu trop en rond, et j'aimerais arranger ça. Mais, d'un autre côté, je pense que Tesis est un snuff movie correspondant à mes envies et préoccupations de l'époque... Et puis c'était un film que j'ai fait pour pouvoir en faire d'autres ! »

 

 

A PROPOS D'OUVRE LES YEUX (1997)

« Il y a évidemment un héritage de Vertigo, notamment au milieu du film, lors rêve du personnage joué par Edouardo Noriega : il y a une scène que j'avais écrite mais que j'appréhendais de tourner, je ne me sentais pas à l'aise avec cette comparaison avec Hitchcock. Heureusement, j'ai trouvé la scène très belle au tournage, et, lors du montage, ma monteuse m'a dit que j'avais eu raison de la tourner. Mais, je n'ai jamais eu assez de temps pour me pencher vraiment sur la question, et je me souviens encore des doutes que j'ai eus au moment du tournage... Or, c'est tout de même un film qui m'a permis de poursuivre ma carrière car, bien qu'il soit différent de Tesis, le public espagnol l'a très bien accepté. Je ne me suis d'ailleurs pas limité à Hitchcock : d'autres films ont influencé Ouvre les yeux, notamment Total Recall. Je n'ai jamais lu le livre de Philip K. Dick, mais j'ai adoré le film de Paul Verhoeven ! »

 

 

A PROPOS DE VANILLA SKY (2001), REMAKE AMERICAIN D'OUVRE LES YEUX

« En apprenant qu'un remake allait être tourné, je me suis dit que ce serait intéressant de voir le résultat, mais en repensant à tous les problèmes rencontrés à l'époque d'Ouvre les yeux, je n'étais pas sûr que je parvienne à les régler avec Vanilla sky [Amenabar a participé à l'écriture de Vanilla Sky]. Cameron Crowe s'est focalisé sur des points sur lesquels je ne m'étais pas penché, et j'apprécie son film : il a réussi à apporter son style, et à traduire une certaine ambiance par le choix des musiques. »

 

 

 A PROPOS DE LES AUTRES (2001)

 « Le projet est arrivé à un moment où je voulais me détacher d'Ouvre les yeux. J'avais envie d'explorer quelque chose de nouveau, de faire un film minimaliste et aussi de tourner en anglais pour réunir un public plus large. Je me suis demandé si j'avais la vocation pour faire un tel film, avec un unique décor et peu de personnages... J'ai lu beaucoup des livres avec des maisons hantées, et, bien sûr, j'ai vu des films. Par exemple, Les Autres est très proche des Innocents de Jack Clayton. C'est un film que j'adore et que j'ai pris comme référence. Après, il y a d'autres influence, comme celle de The Haunting de Robert Wise, qui est l'un des premiers films réussissant à faire peur avec presque rien. Ma première intention était de faire un film ludique, je voulais m'amuser en racontant une histoire de fantômes. Et puis j'ai voulu apporter quelque chose à ce genre, en refusant par exemple quelques stéréotypes comme le recours à des adolescents pour tenir les rôles principaux... »

 

 

A PROPOS DE MAR ADENTRO (2004)

« C'est mon premier film à avoir reçu de mauvaises critiques... Je pense qu'il est impossible de contenter tout le monde. Mais aujourd'hui je crois que Mar Adentro est l'un de mes films les plus appréciés. Il a eu de nombreuses récompenses lors de plusieurs festivals, à Venise, aux Oscars, aux Golden Globes... C'est quand même une histoire incroyable, une véritable histoire d'amour. Avec Mar Adentro, je voulais faire un film sur la vie et la mort, et explorer un genre que j'adore depuis que je suis enfant : le mélodrame. Et puis c'était une histoire que j'avais envie de raconter, et je ne pouvais évidemment pas le faire par le biais du fantastique. Ca a peut-être dérouté un peu mon public habituel, mais ce film m'a beaucoup apporté personnellement : j'ai l'impression d'avoir grandi en m'intéressant à la vie de ce personnage, et d'être à présent mieux préparer pour affronter la mort. »

 

 

A PROPOS D'AGORA (2010)

« C'est difficile de dire l'effet que produit ce film et d'anticiper la réaction du public ou des critiques, car ce n'est pas vraiment un péplum : c'en est un certes, mais c'est aussi un film sur l'astronomie et sur une femme. Il y a plusieurs niveaux de lecture. Pour moi, c'est un film difficile à classer.

Un péplum...

« J'ai regardé beaucoup de péplum, pour m'imprégner de cet art du travelling qu'il y a dans ces films. C'est la seule chose que j'ai retenue, j'ai complètement oublié les autres caractéristiques du péplum... Je voulais pouvoir reproduire ces travellings, et pour cela j'ai du donner des indications très précises sur l'endroit où l'on placerait la caméra. Bien sûr, quelques films m'ont particulièrement inspiré, comme Ben Hur, Spartacus, et j'ai préféré éviter les mouvements au ralenti, comme il y en a dans 300, car ils sont parfois ridicules... »

Un film féministe...

« J'avais pour ambition de prendre pour personnage principal une femme. On réalise quelle était la force et la détermination qu'elle avait pour faire entendre sa voix à toute la ville. C'est un personnage ambitieux et curieux. C'est cette femme qui préfère la réflexion au combat et, pour c'est pour cela qu'elle est la véritable héroïne de mon film. On peut même la considérer comme une philosophe à part entière, et non comme la femme ou la fille d'un philosophe. Elle veut apprendre quelque chose à l'homme, et c'est ce qui nous a fait réaliser sur le tournage que nous étions en train de faire un film sur une icône féministe. Nous avons d'ailleurs essayé de rendre cette idée très claire dans le film. »

 

 

Un film sur l'astronomie...

« Je suis passionné par l'astronomie, et j'a beaucoup étudié le sujet. On se rend compte à quel point elle a changé la vie des hommes : c'est grâce à des gens comme Galilée ou Einstein que nous savons dans quel monde nous vivions aujourd'hui. Je voulais parler de cette passion pour l'astronomie. Bien sûr, je ne suis pas capable de trouver des réponses quand je regarde le ciel, mais au moins je suis capable de me poser des questions depuis quelques années. »

Un film sur la religion...

« Le problème avec la religion se pose dès que l'on arrête de dialoguer avec l'autre. Je crois au pouvoir de la raison et du dialogue. Je me rappelle d'un des premiers tests avec un acteur : il était très chrétien et voulait savoir ce si le film serait une offense au christianisme. Je ne voulais évidemment pas faire un film anti-chrétien. Dans Agora, il y a des chrétiens, des musulmans, des palestiniens... Le film n'attaque pas une religion mais critique des hommes qui se tuent entre eux pour imposer leurs idées. »

Un film en scope...

« J'ai toujours eu des problèmes avec ce format... Pour des raisons de budget, j'ai tourné mes premiers films en 1 :85. J'aurais voulu utiliser le scope pour Les Autres mais Tom Cruise m'a dit qu'il avait eu de nombreux problèmes sur le tournage de Mission : Impossible 2 donc j'ai abandonné cette idée. Et pour Mar Adentro, mon producteur m'a déconseillé de le tourner en scope car c'est un film très réaliste, avec un fort aspect documentaire. Il valait mieux le tourner en 1 :85 mais j'ai résisté et on l'a tourné en scope.  Et enfin sur Agora, c'était une évidence et j'ai pu l'utiliser sans avoir besoin de me justifier. J'adore ce format ! »

Un nouveau montage...

« Quand le film a été présenté à cannes [hors compétition], il était achevé, mais je n'avais pas eu assez de temps pour juger le montage. Lors de la projection, je l'ai trouvé trop long, et j'ai donc décidé de retourner dans la salle de montage. La version définitive dure vingt-cinq minutes de moins que celle présentée à Cannes. Bien sûr il y a toujours des choses que l'on apprécie moins dans ses films, mais la projection espagnole d'Agora m'a rassuré car le public a compris le film. Je crois que lorsqu'on fait un film l'objectif est d'être compris, donc je suis plutôt satisfait par Agora de ce point de vue là... Maintenant, j'espère être compris par le public français ! »

 

 

Retranscription faite par Pierre-Loup Docteur

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