Top science-fiction n°12 : Brazil

Sandy Gillet | 4 décembre 2009 - MAJ : 14/12/2023 15:42
Sandy Gillet | 4 décembre 2009 - MAJ : 14/12/2023 15:42

Pour lancer le compte à rebours avant l'évènement Avatar qui sortira sur nos écrans le 16 décembre prochain, la rédaction d'Ecran Large a remis le bleu de chauffe et a recommencé à se plonger dans une classement impossible.

Après vous avoir proposé notre classement des meilleurs films d'horreur dans l'histoire du cinéma, nous avons opté pour l'univers de la science-fiction et ainsi d'élire ce qui sont pour nous les 31 meilleurs films du genre. La règle de ne pas avoir plus d'un film par cinéaste ne s'applique pas ici (c'était au dessus de nos forces pour certains réalisateurs).

La seule règle que l'on a décidé d'appliquer (et qui sera critiquable comme beaucoup de règles) : un film qui était déjà dans notre classement de l'horreur ne pouvait pas réapparaître dans ce nouveau classement.  14 membres de la rédaction ont donc été invités à envoyer leur liste de leurs 70 films préférés.

A partir de ces listes, on n'a gardé que les films cités plusieurs fois par chacun d'entre nous. On a alors resoumis la liste finale à un vote pour obtenir le classement final que nous allons vous faire découvrir quotidiennement jusqu'au 16 décembre 2009 qui révèlera le numéro 1 de la rédaction.

Un éclairage par jour durant 31 jours sur des incontournables du cinéma de science-fiction.  Et en guest star pour commenter nos choix, on retrouve Vincenzo Natali, le réalisateur de Cube, Cypher, Nothing et du très attendu Splice, étant un parfait ambassadeur du futur de la science-fiction au cinéma.

 

12 - Brazil (1985) de Terry Gilliam

 

 

 

 

Vincenzo Natali : Je n'ai jamais pris de drogues de ma vie. Mais après avoir découvert Brazil à l'âge de 16 ans, je n'en ai plus l'utilité. Ce film m'a coupé littéralement la parole pendant plusieurs minutes après sa fin. C'est l'expérience la plus trippante, la plus folle, la plus dense, la plus hallucinante que j'ai vécu au cinéma. C'est un festival d'influences, de Kafka à Lewis Carol en passant par Max Sennet, qui s'épanouit dans une version "steam punk" (des décennies avant que le genre soit inventé) du 1984 de George Orwell. Le film parvient aussi à être une vision très dérangeante du futur, où le gouvernement a besoin des terroristes pour garder le pouvoir et où la liberté individuelle se perd dans un méandre d'erreurs bureaucratiques. Le rythme du film, son passage fou de la réalité à la fantaisie, ses architectures dézinguées, son intelligence non stop attaquent le spectateur avec brio. C'est la SF qui secoue. Personnellement je l'aurais situé dans le top 5 de cette liste.

Jean-Noël Nicolau :   

Le chef-d'oeuvre de Terry Gilliam, entre grotesque et sublime. Accessoirement la meilleure version de 1984 au cinéma.

Sandy Gillet :

Braaaaaaazillllllll, la la la la la la la laaaaaaaaaaaaaaa....

 

 

Brazil est certainement le film le plus fou, le plus baroque mais aussi le plus abouti et révolutionnaire de son auteur, l'atypique Terry Gilliam. Pour ceux qui l'ignoreraient encore, Gilliam est un ex membre de la célèbre troupe anglaise des Monty Python qui entre 1969 et 1974 avait mis sens dessus dessous la télévision britannique avec leur série Monty Python's Flying Circus. Leur réputation ayant très vite dépassé le Channel, c'est tout naturellement que les six compères (Graham Chapman, John Cleese, Terry Jones, Eric Idle, Michael Palin et Gilliam donc) se tournèrent vers le cinéma entamant une série de trois films fameux dont le dernier Monty Python : Le Sens de la vie fut réalisé en 1983. Afin de contenter le loustic qui ne demandait qu'à voler de ses propres ailes, Terry Jones accepta que Terry Gilliam puisse réaliser pleinement The Crimson Permanent Assurance, le génial préambule de 15 minutes qui contenait déjà à l'état d'ébauche tous les thèmes de Brazil.

 

 

 

On y voit des vieux fonctionnaires qui décident de se rebeller contre leurs chefs forcément bas de plafond, détourner un immeuble vénérable et de se lancer à l'abordage d'un quartier entier des affaires type La City... L'imagination débridée est bien entendu au rendez-vous ainsi que cette propension innée chez le cinéaste à prendre excellemment la mesure de nos sociétés de plus en plus kafkaïennes, ubuesques et déshumanisées. Si Gilliam ne perd pas pour autant complètement foi en l'humanité (les vieux précités sont d'irréductibles rêveurs tendance anar pour lesquels on ne peut avoir que de l'empathie), celle-ci bascule tout de même à la fin dans le néant sous prétexte que la Terre n'était finalement pas si ronde... Sic !

 

 

 

Monty Python : Le Sens de la vie clôture ainsi une collaboration de près de 15 ans qui permet à Gilliam de définitivement s'affranchir de la troupe sentant bien qu'il avait fait le tour des possibilités et des envies. De plus il a déjà en tête son troisième long métrage en solo dont les premières images inspiratrices sont survenues lors des repérages de son premier film au Pays de Galles : « (...) je visitais une petite ville industrielle avec des aciéries. Une ville horrible dans une région minière. La plage était complètement noire, à cause de la poussière de charbon. C'était tellement noir qu'on se serait cru à la tombée de la nuit. Je suis allé sur la plage, une sorte de décharge publique, et j'ai vu un homme assis seul, avec un transistor, passant d'une station à l'autre et tombant par hasard sur le thème Brazil. Un rythme semblable n'existe pas dans son monde. De toute sa vie, cet homme n'avait jamais écouté une musique pareille, entraînante, romantique, gaie, syncopée et évocatrice d'évasion latine, suggérant qu'au-delà des tours d'aciers et des gratte-ciel se trouve un monde luxuriant et paisible. Parce que cette musique l'obsède, elle change sa vie. Pour cette raison, je tenais à ce que le titre du film soit celui de cette chanson. » (Dominique Rabourdin, Cinéma (Paris), no 314, février 85).

 

 

 

 

 

 

Ainsi né dans la tête un peu malade de Gilliam ce Brazil qui raconte l'histoire d'un fonctionnaire pris dans la grisaille de son quotidien, enfermé dans une ville dont la hauteur des gratte-ciel et le taux de pollution ambiant obstrue complètement le soleil, mais qui dès qu'il le peut s'évade et laisse vagabonder son imagination débordante pour devenir d'une manière récurrente une sorte de héros romantique des temps modernes. Jusqu'au jour où la femme de ses rêves (au sens propre comme au figuré) débarque dans le hall de son ministère (le M.O.I. pour Ministery Of Information) bousculant dès lors ses certitudes et la frontière qu'il croyait tangible entre son monde chimérique et la triste réalité qui devient dès lors insupportable.

 

 

 

C'est au cours d'une soirée bien arrosée dans un restaurant parisien au début de l'année 1983 que Gilliam convainc Arnon Milchan de produire son film dont il lui narre les péripéties dans une prose fleurie et complètement décousue. Pour autant le courant passe et Arnon qui sort d'un tournage éprouvant avec The King of comedy se dit que travailler avec ce génial énergumène ne peut pas être pire que ce qu'il du subir  avec un éternel anxieux à tendance asthmatique qu'était alors Scorsese. Il décide alors de faire le tour des popotes à Hollywood avec sous le bras un scénario qui ne trouvera absolument pas preneur dans un premier temps. Jusqu'à ce qu'une petite virée au festival de Cannes décide Universal de le co-produire pour un budget aux alentours de 15 millions de dollars. Bien qu'hyper couru le casting est vite réuni entre les habitués qui avaient déjà participé au film Bandits, bandits (Ian Holm, Jim Broadbent, Peter Vaughan et Katherine Helmond) et les nouvelles têtes comme De Niro qui voulait absolument en être et qui interprètera le fameux Harry Tuttle, plombier le jour et terroriste à mi-temps la nuit...

 

 

 

Commence alors un tournage compliqué entre l'Angleterre et la future ville d'accueil en Ile De France de « Mickey Ville », épuisant et rendu pénible par un Gilliam ultra exigeant qui réécrit souvent dans la nuit des séquences entières qu'il doit tourner le lendemain. Mais le film dont le premier titre est 1984 ½ en hommage au 8 ½ de Fellini et au livre au titre éponyme d'Orwell est terminé dans les temps tout en respectant le budget alloué. Et Gilliam de livrer à Universal en janvier 1985 un montage de 142 minutes qui est immédiatement et tel quel acheté par la Fox pour l'exploitation internationale. Le film sort  ainsi dans la foulée en France (20 février) et en Angleterre (22 février) où Gilliam décide de se reposer en attendant de connaître la date de sortie américaine qui a pris un peu de retard suite à la demande de Sidney Sheinberg, président alors d'Universal, d'opérer quelques changements afin d'en raccourcir la durée mais aussi d'en adoucir un propos considéré dans l'absolu bien trop noir et nihiliste. Se pliant de bon gré à quelques-uns des arguments du Studio, Gilliam rend une copie de 132 minutes et une fin plus aérienne où les murs qui entourent un Sam Lowry devenu un légume (ou pas d'ailleurs) s'effacent pour se transformer en des nuages propres à exprimer plus visuellement « l'évasion » définitive du petit fonctionnaire devenu un véritable héros.

 

 

 

 

 

Mais Sheinberg n'est pas du tout satisfait de ce nouveau montage et le fait savoir personnellement à Gilliam via une conversation téléphonique qui s'envenime très rapidement et qui sonne le début des hostilités entre le Studio et le cinéaste. De ce conflit qui fera date dans l'histoire du cinéma et qui sera relaté dans un passionnant documentaire intitulé The battle of Brazil  (que l'on peut trouver sur toutes les éditions Criterion depuis le LD jusqu'aux deux éditions DVD) en ressortira une version de 94 minutes intitulée Love conquers all (visible sur la dernière édition DVD Criterion) distribuée en catimini en décembre 1985. Entre-temps Gilliam a montré, souvent clandestinement et aidé d'Arnon Milchan, son film aux journalistes américains qui ne se priveront pas pour crier haut et fort au génie et a acheté une page dans Variety pour demander à Sheinberg quand il pensait sortir/libérer (le mot « release » en anglais ayant un double sens) son film lui permettant par la même occasion de révéler l'affaire au grand public...

 

 

 

 

 

Aujourd'hui il existe bien trois versions différentes du film mais seule celle exploitée en Europe et que nous avons eu le privilège de découvrir immédiatement fait foi et constitue le montage définitif et initialement voulu par Gilliam. Il est celui qui vision après vision permet d'affirmer qu'il est la meilleure adaptation au cinéma de 1984 tant la forme et le propos illustrent à merveille ce que cherchait à dénoncer George Orwell en 1948 dans ce qui est devenu un classique de la littérature. Il permet aussi à Brazil de rester encore aujourd'hui un film épique, terriblement visionnaire et par là même atrocement dépressif.

 

Ne reste plus comme bouée de sauvetage qu'à siffloter intensément dans sa tête la douce mélodie exotique interprétée en son temps par le crooner brésilien Arry Barroso... : Brazil, Where hearts were entertained in June. We stood beneath that amber moon. And clung together, then tomorrow was another day. The morning found me miles away. With still a million things to say. And now, when twilight beams the sky above...

 

 

 

 

Newsletter Ecranlarge
Recevez chaque jour les news, critiques et dossiers essentiels d'Écran Large.
Vous aimerez aussi
commentaires
Aucun commentaire.