L'Armée des 12 singes L'armée des 12 singes

Vincent Julé | 22 novembre 2009 - MAJ : 14/12/2023 15:37
Vincent Julé | 22 novembre 2009 - MAJ : 14/12/2023 15:37

Pour lancer le compte à rebours avant l'évènement Avatar qui sortira sur nos écrans le 16 décembre prochain, la rédaction d'Ecran Large a remis le bleu de chauffe et a recommencé à se plonger dans un classement impossible. Après vous avoir proposé notre classement des meilleurs films d'horreur dans l'histoire du cinéma, nous avons opté pour l'univers de la science-fiction et ainsi d'élire ce qui est pour nous les 31 meilleurs films du genre. La règle de ne pas avoir plus d'un film par cinéaste ne s'applique pas ici (c'était au-dessus de nos forces pour certains réalisateurs). La seule règle que l'on a décidé d'appliquer (et qui sera critiquable comme beaucoup de règles) : un film qui était déjà dans notre classement de l'horreur ne pouvait pas réapparaître dans ce nouveau classement. Quatorze membres de la rédaction ont donc été invités à envoyer leur liste de leurs 70 films préférés. À partir de ces listes, on n'a gardé que les films cités plusieurs fois par chacun d'entre nous. On a alors resoumis la liste finale à un vote pour obtenir le classement final que nous allons vous faire découvrir quotidiennement jusqu'au 16 décembre 2009 qui révèlera le numéro 1 de la rédaction. Un éclairage par jour durant 31 jours sur des incontournables du cinéma de science-fiction.  Et en guest star pour commenter nos choix, on retrouve Vincenzo Natali, le réalisateur de Cube, Cypher, Nothing et du très attendu Splice, étant un parfait ambassadeur du futur de la science-fiction au cinéma.

25 - L'armée des 12 singes (1995) de Terry Gilliam

 

Vincenzo Natali : La version originale, La jetée de Chris Marker, est définissable par sa simplicité (chaque plan sauf un est une seule et unique image), alors que L'armée des 12 singes est une œuvre baroque, tout droit sortie de  la folie de Terry Gilliam. Et chacun fonctionne à sa manière. Ils sont chacun un superbe exemple de ce mélange d'émotion et de mélancolie que l'on peut trouver dans la science-fiction. Mais sur les deux, c'est La Jetée qui me touche le plus. La première fois que je l'ai vu (le hasard a fait que c'était la même année que la sortie des 12 singes), j'ai réalisé qu'il était possible de faire un grand film de science-fiction sans effets spéciaux ou autre technologie sophistiquée.

Ilan Ferry :

 

Sans conteste, le meilleur film de Gilliam depuis Brazil.

Stéphane Argentin :

L’un des récits d’anticipation les plus brillants et terrifiants du 7e Art et accessoirement le film le plus réussi et accessible de Gilliam.

Jean-Noël Nicolau :

Il fallait du culot pour transformer La Jetée en blockbuster mi-fun, mi-tragique. Moins brillant que Brazil, mais Gilliam a rarement été aussi sobre et efficace.

 

Un regard. Le regard d'un enfant. Le regard d'un enfant sur sa propre mort. Le voyage dans le temps et les paradoxes spatio-temporels ont toujours fait tourner la tête du spectateur et du cinéma. De La machine à explorer le temps à Terminator en passant par La planète des singes ou Retour vers le futur. Mais avec L'armée des 12 singes, le sujet devient plus intime, l'enjeu plus humain et la forme plus viscérale. Alors, un voyage dans le temps ou un voyage en l'homme ?

 

« The future is history »

 

 

2035 : un virus a décimé 90% de la population, contraignant les survivants à vivre sous Terre. Régulièrement, des scientifiques envoient des volontaires dans le passé pour tenter de découvrir l'origine de ce virus et empêcher la catastrophe de se produire. James Cole, prisonnier hanté par de mystérieuses images, sera l'un de ces volontaires. Au cours de son voyage, il fera la rencontre d'une séduisante psychiatre et d'une bande d'activistes écolo guidée par un fou.

 

Terry Gilliam n'a pas vu La Jetée de Chris Marker (où es-tu dans le Top SF ? es-tu dans le Top SF ?). Voilà, c'est dit. Du moins, il ne l'a pas vu au moment où il s'atèle à la réalisation de L'armée des 12 singes. C'est le producteur Robert Kosberg (Commando, Max, le meilleur ami de l'homme, Peur bleue) qui le premier s'intéresse au court-métrage culte français. Grand fan de l'œuvre de Chris Marker, il convainc le réalisateur de le laisser pitcher un projet de long auprès des executives de Universal Pictures. Après avoir racheté les droits pour un remake, ils engagent les scénaristes David et Janet Peoples pour en écrire le scénario. C'est la première collaboration du couple, mais David est déjà connu pour son travail sur des monuments comme Blade Runner et Impitoyable, mais aussi Leviathan et plus tard Soldier. Yeah ! A l'époque, Terry Gilliam commençait ses mauvaises et tristes habitudes en abandonnant un projet d'adaptation du Conte des deux cités de Charles Dickens. Mais entre Brazil, Les aventures du Baron de Munchausen et le récent Fisher King, le réalisateur britannique a déjà imposé son style, bigarré et inspiré, et c'est exactement ce que cherche le producteur Charles Roven (de Scooby-Doo à The Dark Knight). Peu enclin à mettre en scène les scripts des autres, Terry Gilliam avoue avoir été « déconcerté » par celui de L'armée des 12 singes. « C'est captivant et intelligent. Les enjeux mêlent le temps, la folie et notre perception de ce qu'est le monde... ou pas. Il s'agit d'une étude sur l'imagination et les rêves, sur la mort et la renaissance. »

 

A l'origine, Terry Gilliam veut Nick Nolte et Jeff Bridges pour les rôles respectifs de James Cole et de l'activiste écolo dingo Jeffrey Goines. Pas question pour Universal. Il pense alors à Bruce Willis, qu'il avait rencontré lors du casting de Fisher King pour le rôle de Jeff Bridges. La star hollywoodienne accepte, avec d'ailleurs un salaire grandement revu à la baisse à cause de raisons budgétaires et surtout parce qu'il voulait travailler avec Terry Gilliam coûte que coûte. En fait, il ne sera payé qu'après la sortie du film. Mais le réalisateur ne se gêne pas pour autant pour lui donner une liste de tics de jeu « à la Bruce Willis » à proscrire. S'il avait pu, Terry Gilliam aurait aussi proscrit tout Brad Pitt. Il ne pense pas qu'il soit le bon choix pour Jeffrey Goines mais se laisse convaincre par le directeur de casting. Il peut le remercier car si au moment de son casting, Brad Pitt est un jeune premier et donc pas trop cher, à la sortie du film, il est devenu entre temps une vedette grâce à Entretien avec un vampire, Légendes d'automne et Seven. Le succès du film n'est pas complètement étranger à cette starification, ni à sa performance. Il passa ainsi plusieurs semaines dans un hôpital psychiatrique pour se préparer à ce qui est l'un des meilleurs rôles de sa carrière - avec une nomination à l'Oscar du meilleur second rôle. Pour le personnage du Dr. Kathryn Railly, Madeleine Stowe a été une évidence selon Terry Gilliam. Il l'a adoré dans Blink, l'a rencontré pour son projet du Conte des deux cités et ne tarit pas d'éloges sur « sa beauté éthérée et son incroyable intelligence ». Deux qualités dont il avait besoin pour que le film soit romantique.

 

Nous sommes en 1995 et malgré son casting quatre étoiles et son budget relatif de 29,5 millions de dollars, Universal met du temps à lancer L'armée des 12 singes. La raison : Waterworld, dont la production n'en finit plus d'enchaîner les dépassements de budget. Mais depuis Brazil, Terry Gilliam a la confiance du studio et le tournage commence en février 1995 pour quatre mois. Le réalisateur reprend son style de Brazil, que cela soit pour les décors ou la lumière. Mais il est aussi hanté par son expérience sur Les aventures du baron de Munchausen et n'a qu'une seule peur, dépasser le budget qui lui est alloué. Il n'y a pas assez d'argent ou de temps pour un perfectionniste tel que Terry Gilliam, alors il fait marcher le système D à plein régime. Au final, le seul dépassement qu'il fera est celui d'une petite semaine de tournage. A sa sortie début 1996, L'armée des 12 singes engrange 57 millions de dollars aux Etats-Unis et 111 millions dans le monde entier, de quoi lui assurer un succès financier indéniable et de renflouer un peu Universal Pictures.

 

Hantise de sa propre mort, fin programmée de l'humanité, amour impossible mais aussi voyages dans le temps, faux rêves, flash-back... L'armée des 12 singes est un chaos thématique et narratif, qui est d'autant plus fascinant qu'il est considéré comme l'œuvre la plus hollywoodienne et la plus accessible de Terry Gilliam. S'il a dû coûter quelques cheveux blancs à la scripte et quelques reshoots au réalisateur, le film ne sacrifie jamais le fond pour la forme ou la tragédie pour le divertissement. Aussi addictif que dépressif, il s'enrichit à chaque vision, par une nouvelle entrée (psychanalytique) ou une nouvelle mise en abyme (cinématographique). Miroir de notre société en déclin, le poste de télévision est présent à chaque coin de plan et multiplie les clins d'œil et les références au voyage dans le temps et/ou aux singes avec des extraits du Mystère Andromède, de Monnaie de singe des Marx Brothers ou d'un épisode de Woody Woodpecker intitulé « Time Tunnel ». Sans parler de l'œuvre d'Alfred Hitchcock, revisité comme dans La jetée et cité avec la projection finale de Vertigo. Le titre lui-même de L'armée des 12 singes est inspiré d'un passage du roman Le magicien d'Oz de L. Frank Baulm, dans lequel le roi convainc 12 singes de servir de soldats contre la promesse de nourriture à volonté. D'un coup, une nouvelle manière de voir le film, Bruce Willis dans le rôle de Dorothy. Terry Gilliam, le magicien de la SF.

 

 

 

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