Interview : Radu Mihaileanu (Le Concert)

Flavien Bellevue | 5 novembre 2009
Flavien Bellevue | 5 novembre 2009

Après le drame Va, vis et deviens qui l'a fait découvrir aux yeux du monde, le réalisateur Radu Mihaileanu signe son quatrième long-métrage Le Concert où il réunit une joyeuse bande de russes face à une Mélanie Laurent sublime et sérieuse en violoniste réputée et un François Berléand déboussolée. Tout cela pour le rire et les larmes où la musique de Tchaïkovski s'avère l'ultime remède aux maux de ces personnages la plupart hauts en couleurs. Musique maestro !

 

 

Comment êtes vous arrivé sur ce projet après Va, vis et deviens ?

Deux jeunes auteurs ont apporté un synopsis très bien écrit à un producteur qui me l'a proposé. Une phrase m'avait fait tilt alors car elle faisait écho à mon histoire personnelle, c'était : « un faux orchestre du Bolchoï à Paris ». Le reste était bien écrit mais ça me correspondait un peu moins. C'était bien avant que je réalise Va, vis et deviens. Avec l'autorisation des auteurs et du producteur, on s'est mis au travail avec mon co-scénariste Alain-Michel Blanc et nous sommes partis en Russie pour proposer quelque chose de différent. Là-bas nous avons trouvé le sujet incroyable d'une bande de perdants, de « has been » qui survit de petits business et qui puisse trouver une issue inattendue. C'était une façon de leur dire ne désespérez pas, il y a toujours une chance ; tant que vous avez une lumière à l'intérieur de vous et que vous avez une dignité humaine que vous n'avez pas perdue, vous pourrez vous remettre debout. Il y avait le ressort de cette lumière là qui crée à la fois de la comédie populaire dans le bon sens du terme et des émotions profondes.

 

 

Comment avez-vous géré les aspects comiques face aux scènes dramatiques aussi bien à l'écriture puis au montage ?

Au point de vue du scénario, rien n'a changé au montage. On a enlevé des choses en postproduction certes mais on a plutôt sublimé le film durant cette étape. Après avoir eu, à l'écriture, la structure qui était simple et les personnages avec leur passé, leurs angoisses, leurs envies, les aspects comiques et dramatiques ressortaient de chacun d'eux. Ils attendent qu'on appuie sur les boutons émotionnels au moment où dramatiquement on en a besoin. Dès le début, nous savons qu'Andreï Filipov a vécu 30 ans auparavant une grande tragédie. On crée des situations cocasses mais on sait bien que le bouton « Tragédie » est à notre disposition. Une fois qu'on a des personnages un peu épais, on sait qu'on peut actionner toutes ces manettes. Ce que j'aime dans les vraies comédies comme celles d'Ernst Lubitsch ou de Billy Wilder, il y a toujours un ressort tragique, ce n'est pas de la simple comédie potache.

 

D'où viennent les petites histoires des personnages russes ? Est-ce que c'est tiré de votre expérience, de récits ou simplement de votre imagination ?

C'est un mélange de ce que j'ai vécu en Roumanie et de ce que des amis roumains ont vécu. Déjà quand je suis arrivé ici, mes amis savaient qu'ils pouvaient gagner en trois jours ce qu'ils gagnaient en un an là-bas. Le voyage à Moscou avant l'écriture, m'a permis de rencontrer des gens comme vous en voyez dans le film, qui font des petits boulots pour survivre ou qui ont vendu leur ancien instrument de musique au début du système capitaliste qui leur a donné une plus grande liberté mais une réalité économique rude. On s'est inspiré de tout cela et on a essayé de le retranscrire dans le film.

 

 

Pensez vous qu'en regardant le film, le spectateur puisse avoir un aspect cliché sur la communauté russe ?

Oui, je suis conscient que certaines personnes diront que le mariage russe n'implique que des mafieux ou que le vieux communiste, il est comme ça etc. Maintenant, chacun est libre de son jugement, nous sommes en démocratie mais c'est une comédie et non pas un documentaire. Il ne faut pas oublier que Fernandel, Louis de Funès, Bourvil, Pierre Richard etc. vont être bientôt dans le patrimoine national et que ces acteurs étaient souvent dans des comédies caricaturales. C'est le propre de la comédie ; prendre la réalité et la tordre. Dès qu'on la tord on bascule dans la caricature ; celle qu'on trouve dans les dessins dans les journaux, c'est pour mieux accentuer ou pour pointer un défaut de la société ou d'un être humain. Je m'amuse parfois à aller un peu loin mais certains russes m'ont critiqué parce que je les montre en train de se saouler à la Vodka. C'est à la fois un cliché mais sur le tournage, je l'ai plus que vérifié. Ils avaient le culot de me dire que je les caricaturais mais en même temps la bouteille de Vodka était vide devant eux et ils ne l'ont pas partagé avec d'autres (rires). Parfois la vie est beaucoup plus caricaturale qu'on ne le pense ; il m'est arrivé avec mon co-scénariste Alain-Michel Blanc qu'on voit une situation dans la rue et qu'on se dise qu'on ne pourra jamais la mettre dans un film parce que tout le monde prendrait ça pour un cliché et que ce n'est pas vrai. Mais je sais que certains n'aimeront pas certains clichés. Pour le mariage russe, aujourd'hui c'est moins le cas mais sous Eltsine, il y en avait que ce genre là où de vulgaires mafieux épousaient que des poupées « Barbie ». Aujourd'hui, la plupart des ex-mafieux du KGB ont fait des études et ne se marient plus avec des idiotes mais avec des étudiantes qu'ils envoient souvent à Londres pour continuer leurs cursus. L'image a évolué mais la caricature subsiste.

 

Quelle place a pour vous la musique dans votre vie ?

Elle a beaucoup de place. Le classique n'en a pas plus que d'autres genres de musique. Le film n'est pas sur la musique classique même s'il y a une apothéose à la fin du film sur un morceau de Tchaïkovski. Comme mes goûts sont variés, j'ai essayé de mettre toutes les musiques ; on a de la techno dans le métro, de la musique orientale dans le restaurant «Trou normand » avec Ramzy, de la musique Gipsy etc. Toutes ces musiques se baladent parce que c'est un film musical et j'adore ça. Depuis que j'ai des enfants, j'entends tous les styles de musiques et nous en discutons ; à part la musique classique très contemporaine que je ne comprends pas, j'adore écouter la musique car elle touche mon cœur. Si ça ne touche pas, j'ai du mal ; non pas que ça soit mauvais mais je n'arrive pas à comprendre. Je vais à fond dans tous les genres même si c'est de la variété quand c'est bien fait, pourvu que cela exalte mon esprit et mon cœur. Ça peut être Céline Dion ou Whitney Houston, je peux aller à fond quand ça me plaît.

 

 

Le son et la musique dans le film sont importants, comment avez-vous travaillé avec l'ingénieur du son et le compositeur ?

J'ai d'abord travaillé avec mon compositeur habituel Armand Amar qui est un des plus grands compositeurs du cinéma français (Indigènes, Home, Le couperet) à l'heure actuelle. Nous avons beaucoup travaillé en amont d'abord sur les choix des musiques préexistantes et il a composé les playbacks avant le tournage (la musique gitane, le morceau techno dans le métro). Il y a eu cette étape et puis il y a eu celle de la traditionnelle musique de film lors du montage où il a trouvé entre autres, le thème d'Andreï qui est sublime et pour lequel on s'est inspiré de la musique russe. Je voulais deux types de musiques russes dans le film, la première était « soviétisante », c'est à dire celle de la dictature communiste avec une fanfare qui aujourd'hui me paraît drôle alors qu'à l'époque elle me filait des cauchemars. La seconde était une musique russe plus profonde, très symphonique avec des chœurs d'hommes et qui me donne la chair de poule à chaque fois que je l'écoute.

 

Comment avez-vous conçu la scène finale du concert ?

Pour cette scène le montage son est moindre car c'est le montage image qui est gigantesque. Je pensais qu'il aurait pris un mois et demi pour monter juste cette partie car il doit y avoir à peu près 500 plans en douze minutes et il y a des plans qui durent un quart de seconde. Au final, il aura mis deux à trois semaines pour finaliser cette séquence et je n'ai pas compris comment il a fait avec tout le matériel qu'il avait à voir. Pour le montage son, ce n'était pas aussi riche parce qu'il fallait mettre surtout le playback de Tchaïkovski mais il y avait aussi des flashbacks et des flashforwards où il fallait des petits sons pour créer de la vie avec des effets sonores de temps en temps de comédie comme le personnage ligoté à la fin. Le bruit des archers était parfois à recréer car ils étaient à peine audibles.

 

 

En parlant de flashforwards, est-ce qu'on aurait pu rester sur la scène du concert sans avoir la suite de l'événement ? (attention spoilers sur la fin)

C'était possible mais il y a deux intentions là-dedans. La première, c'est de ne pas rester sur le mélo et la seconde, c'est un film sur l'amitié, sur des gens qui ont été mis à genoux et qui vont se relever ensemble. C'est le message que je veux donner. Nous vivons dans une époque où l'égocentrisme, l'égoïsme et l'individualisme sont à leur comble, revenons à des valeurs plus sûres comme l'amitié. Aujourd'hui sans elle, on ne s'en sort pas. Je voulais montrer que ces gens là n'ont pas seulement joué un concert mais cet événement a déclenché une amitié et ils vivent ensemble. Une image qui m'a fait rire à la fin, c'est de voir l'orchestre en rock stars même s'ils jouent du classique, ils sont des Rolling Stone et s'habillent en cuir de toutes les couleurs ce qui contraste avec le vrai Bolchoï triste et toujours en noir. J'avais envie de voir ça et que le public ne pense pas qu'ils ont juste réussi leur coup en « one shot ». L'amitié ce n'est pas « one shot », c'est à long terme. D'ailleurs, le personnage d'Anne-Marie Jacquet ne jouera qu'avec l'orchestre parce que c'est comme une famille...sans dévoiler la fin. Ces gens se sont remis debout et ont retrouvé le bonheur parce qu'ils sont ensembles.

 

Comment s'est déroulée la rencontre avec les acteurs russes et français ?

C'était sublime. J'avais peur au début parce que ce sont deux écoles différentes et fortes. Je pensais qu'il y aurait eu des conflits d'adaptation de jeu entre eux mais tout s'est mieux passé que prévu. Les premiers jours aux répétitions, il y avait une sorte de bras de fer où chacun voulait dire à l'autre : « je vais te montrer, c'est mon école la meilleure, suis mon jeu ». Après, ils se sont appréciés, admirés et c'était incroyable de voir comment l'un volait le jeu de l'autre surtout qu'ils ne parlaient pas la même langue. Cet échange leur a donné une énergie beaucoup plus forte. C'était un grand plaisir pour moi même s'il fallait les diriger d'une façon différente mais c'était riche.

 

 

D'ailleurs, est-ce que ce sont les acteurs que vous vouliez au départ ?

Oui, j'ai eu tous ceux que j'ai désirés, c'est énorme. D'ailleurs, il y a une anecdote d'une scène que j'ai gardée dans le film tellement c'était tendu et drôle après coup. Lorsque François Berléand rencontre pour la première fois les trois russes dont le chef d'orchestre, Andreï lui serre la main alors que les deux autres l'entourent et Andreï ne lâche pas la pression, lui faisant comprendre que c'est eux les patrons. Berléand s'est alors tourné vers moi pour me dire « Il va me lâcher la main là. » et je l'ai gardé dans le film. Ils ont tous rigolé après et sont devenus amis comme cul et chemise.

 

Remerciements à François Guerrar, Juliette et Bérangère ainsi qu'à Radu Mihaileanu.
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