Abel Ferry (Vertige)

Thomas Messias | 16 juin 2009
Thomas Messias | 16 juin 2009

On a souvent dit ici beaucoup de mal du cinéma de genre français ; c'est dire à quel point on est ravi à Ecran Large de pouvoir en dire du bien. Premier film d'Abel Ferry, Vertige nous a sacrement séduits. Entretien avec son jeune réalisateur, passionné et sans langue de bois...


Comment fait-on pour réaliser un film de genre en France ? Tu as dû te poser beaucoup de questions ?

Pas vraiment. J’ai gagné un casting de réalisateurs. Je suis savoyard, du genre très chauvin, et quand on m’a proposé le film, j’ai dit oui tout de suite, à condition qu’il n’y ait ni doublure ni trucage. Je voulais que tout soit bien réel. J’avais envie d’exploiter à fond les possibilités de la montagne et le potentiel de l’héroïne, qui est selon moi la vraie singularité du film. Le défi, c’était qu’avec un budget ridicule, inférieur à celui d’un téléfilm, on arrive à faire quelque chose de convaincant. Les comédiens et les techniciens ont fait ce film par passion, ils ont consenti à quelques efforts financiers. Et quand j’ai retravaillé le scénario, j’ai notamment enlevé pas mal de figurants et quelques éléments inutiles afin d’optimiser ce budget et que tout l’argent investi se voie à l’écran.

 

 

Le film débute sur la même base que Humains, pour une réussite bien différente. L’une des nombreuses différences, c’est que dans Vertige il y a beaucoup moins de dialogues…

Il y en avait beaucoup dans la première version du scénario. Mais lorsqu’on a travaillé avec les comédiens afin qu’ils s’approprient leurs personnages, on en a enlevé tout naturellement une partie, et on a retravaillé le reste pour que ça ait l’air plus crédible. C’est d’ailleurs dans ce souci de crédibilité que je les ai fait participer au processus de création du film. Je voulais que tout ce qu’on pouvait comprendre par la seule force de l’image ne soit pas répété dans les dialogues.

 

 

 

 

Comment tu as préparé le film ?

J’ai fait moi-même tous les repérages pour trouver les décors, puis j’ai travaillé avec des guides de haute montagne. Il n’y a pas eu de cascadeurs, mais uniquement des guides. Ils se sont impliqués à fond dans le film, et ils ont fourni une quantité de travail impressionnante. Sur le plateau, tout le monde se sentait en sécurité en permanence. On avait beau suspendre les comédiens à un câble au-dessus de 120 mètres de vide, il n’y avait aucun souci. Finalement, le plus difficile à vivre n’était pas le vide, mais le froid.

 

Certaines très bonnes scènes semblent un peu trop courtes. Tu n’aurais pas voulu les développer davantage ?

Si, bien entendu. Mais avec seulement 35 jours de tournage et un budget anémique, en septembre – octobre avec le soleil qui se couche très tôt, on a eu vraiment peu de temps. Et je passe les tempêtes de neige, les crises d’hypothermie… j’aurais voulu tourner à une autre période mais on a obtenu les accords bien trop tard. Et encore, on a eu beaucoup de chance : le lendemain du dernier jour de tournage, 12 centimètres de neige sont tombés dans la nuit. On aurait pu ne pas avoir le temps de finir le film.

 

Quelles ont été tes influences pour le film ? On pense inévitablement à The descent

C’est un film de commande, et quand on me l’a proposé, je me suis dit immédiatement que c’était The descent en montée. Mais mon but était d’amener Vertige plus vers le film d’aventure que vers le film d’horreur, que la montagne soit le personnage principal et que le film puisse s’adresser à un public large. Autres influences : Predator, où la jungle est clairement l’héroïne, et Cliffhanger parce que c’est inévitable.

 

 


 

Quelques réserves : on devine un peu trop facilement qui va mourir et qui va survivre, et la fin est un peu agaçante avec son côté « histoire vraie » et un peu trop ambiguë…

Ceux qui connaissent parfaitement ce genre de film peuvent en effet se douter de l’ordre dans lequel les personnages vont disparaître, même si ce n’est pas aussi évident tout au long du film. Concernant la fin, j’ai voulu la raccrocher à la réalité. Je me suis inspiré de tas de faits divers sur les disparitions inexpliquées, les gens séquestrés, etc., et j’ai tout assemblé de façon à ce que ce soit crédible. Mais je suis super content du combat final, qui reste un des grands moments du film et un de mes meilleurs souvenirs de tournage.

 

L’intérêt du boogeyman du film, c’est son côté chétif, fragile, l’anti Michael Myers en somme…

Exactement. C’était tout à fait mon but. On a déjà vu des tueurs invincibles 20.000 fois, c’est un peu rébarbatif à la longue. Je voulais même aller plus loin : j’aurais rêvé que le tueur soit une tueuse. Mais c’est l’un des problèmes du film de commande : on ne peut pas non plus faire tout ce qu’on veut. J’aurais rêvé d’une baston finale entre deux femmes. Mais Justin, l’interprète du boogeyman, m’a permis de n’avoir aucun regret. Il est hallucinant.

 

Tu peux nous parler du changement de titre ?

Il y a plus d’un an, j’avais dit aux producteurs que je trouvais que Ferrata était un bon titre mais que 95% des gens voire plus ignorent totalement ce qu’est la via ferrata. Ça pouvait faire penser à une fête ou à un plat de nouilles, on ne pouvait pas prendre ce risque. Vertige est moins original, mais a le mérite d’être clair. Tout le monde comprend illico ce qu’il va trouver en allant voir le film. Le film de genre français est fragile, il faut aller à l’essentiel pour le promouvoir.

 

[pause "j'appelle mon réparateur de chauffe-eau" pour notre rédac chef, pendant qu’Abel se fout de sa gueule]

 


 

C’est quoi les autres films de genre réalisés par des français qui t’ont plu récemment ?

Avant toute chose, je trouve que c’est tellement difficile à mettre en place que je remercie tous ces réalisateurs pour l’énergie qu’ils ont dépensée pour faire leurs films, réussis ou pas. C’est en grande partie grâce à eux que j’ai eu la possibilité de faire Vertige. Faire un film de genre en France est une grande responsabilité. Tu dois le réussir parce que tu peux nuire à tes successeurs. Mes potes réalisateurs me souhaitent beaucoup de succès car ça ne pourra que les aider à monter leurs propres projets.

Le film qui m’a le plus bluffé, qui m’a donné envie de faire ce métier, c’est Crying freeman. Je l’ai vu trois fois en salles, j’ai acheté la BO, et maintenant que je sais combien de galères Christophe Gans a pu rencontrer, j’aime encore plus ce film. À part ça, dans les plus récents et plus proches de mon budget, je préfère Frontière(s). C’est borderline, toujours à la limite, mis en scène avec rage… J’aime beaucoup Xavier Gens, d’ailleurs je trouve Hitman très honnête par rapport à ce qui a pu être dit sur le film. C’est un réalisateur tout sauf prétentieux, et c’est cette modestie que je voulais retrouver dans Vertige : offrir au spectateur de l’action, des gonzesses bien roulées… Ça n’a pas dérangé Fanny que son physique soit mis en valeur, on en a donc un peu profité.

Hors France, ceux qui m’ont donné envie de faire du cinéma, c’est McTiernan, Cameron, Besson, Jackson.

 

Un objectif côté box-office ?

J’aimerais bien atteindre les 100.000 entrées. Je ne sais pas si c’est possible, mais j’y crois. En tant qu’ancien projectionniste je connais bien le milieu de l’exploitation de films, j’y ai fait circuler mes courts, et depuis beaucoup d’exploitants se sont engagés à diffuser Vertige et à le conserver sur une durée suffisamment longue. La concurrence est rude en ce début d’été, mais on verra bien.

 

 

Interview réalisée par Laurent Pécha.

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