Critique : Berlin alexanderplatz

Nicolas Thys | 1 octobre 2007
Nicolas Thys | 1 octobre 2007

Chez Fassbinder tout est politique et Berlin Alexanderplatz n'échappe pas à la règle. Adaptation magistrale d'une œuvre d'Alfred Döblin qu'il a lu au cours de son adolescence et qui, selon ses dires, aurait profondément influencée sa vision du monde et toute sa carrière artistique, ce feuilleton télévisé ressasse en profondeur toutes les obsessions du cinéaste.

En quelque sorte Berlin Alexanderplatz résume Fassbinder : il est la somme de son œuvre filmique riche et courte. On y découvre des thèmes déjà abordés par le passé : un milieu social quasiment ghettoïsé, des quartiers défavorisés, des individus marqués par la violence, paumés, naïfs, cherchant à s'en sortir avant d'être rattrapés par un destin funeste et de nombreuses femmes réduites à corps objets qui apportent à la fois malheur et plaisir.

On retrouve la rage de Maman Küsters, les abattoirs de l'Année des treize lunes, un récit à deux niveaux où ce qui est dit et ce qui est montré ne s'accorde pas toujours et fait souvent contrepoint. Mais Berlin... anticipe également les derniers films de Fassbinder, il prépare visuellement à Veronika Voss ou Lili Marleen à travers la rencontre avec le chef opérateur Xaver Schwarzenberger et ses lumières éclatantes, tiraillées entre couleurs chaudes et froides, et flashs au néon expressifs et agressifs.

Mais Fassbinder n'adapte pas non plus l'œuvre sur un coup de tête. Elle est une réflexion riche et importante sur l'Histoire, sur un état du monde, peu avant la crise économique et la montée du nazisme. Le roman de Döblin, paru pourtant en 1929, ne cesse de parler des tensions entre communistes et porteurs de croix gammée. Toute cette dimension prend aujourd'hui, a postériori, une toute autre dimension. Prophétique, le roman ? Pas vraiment, mais cet aspect qui montre à quel point il était aisé pour le peuple de se laisser convaincre d'aller d'un bord à l'autre sans raison particulière n'a pas pu échapper au réalisateur.

Entre réalisme de la description d'un milieu (les acteurs sont parfaits !) et distanciation réflexive au moyen d'un montage parfois illusoire, d'une théâtralité accrue de certaines séquences, de l'incartade de cartons muets et de tirades scientifiques étranges, le film ne peut laisser personne de marbre et s'élève sans doute aucun au rang des chefs d'œuvres (du cinéma comme de la télévision).

NB : destiné aux lecteurs du roman de Doblin et qui chercheraient à savoir si l'adaptation est fidèle. Elle l'est. Fassbinder n'a pas hésité à choisir le format télévisé, propice aux séries à rallonge et permettant de réaliser une œuvre conforme à la densité du livre tout en y apportant son style propre. Roman moderne par sa structure narrative proche de Joyce, la série reprend certains des procédés en les appliquant au médium filmique et en apportant une interprétation propre au cinéaste de certains passages ambigus et allégoriques. Seuls quelques détails et personnages mineurs sont enlevés au profit d'une plus importante fluidité de la mise en image du récit.

Résumé

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