Assurance sur la mort en DVD chez Carlotta : Allerton Films et son supplément exclusif

Julien Foussereau | 27 octobre 2006
Julien Foussereau | 27 octobre 2006

Cette dernière partie de notre dossier consacré à la production du DVD d'Assurance sur la mort chez Carlotta est l'occasion de revenir sur ce qui a fait la réputation de l'éditeur. Le rendez-vous est donc pris avec Allerton, une société spécialisée dans la création de suppléments DVD collaborant régulièrement avec Carlotta. Installé confortablement dans une salle de visionnage dernier cri (dans laquelle un comparatif probant des pistes Dolby et DTS Mono du film a lieu), nous assistons à la projection de La Dernière Cigarette, documentaire exclusif venant compléter le pack de bonus déjà présent sur le DVD américain Universal. Et c'est une belle surprise : cela faisait longtemps que les DVDphages que nous sommes n'avions pas regardé un supplément où intelligence et maîtrise formelle se tiraient autant la bourre et ce, au point de redécouvrir le film. Après ce grand moment d'interactivité DVD dont nous vous proposons un extrait vidéo, voici le temps de poser nos questions à Nicolas Ripoche, le réalisateur de cette réussite.

 

Cliquez sur l'image pour visionner un extrait de ce bonus

 

 

Pourriez vous nous parler de la société Allerton, de son histoire ainsi que son approche dans les bonus ?
La société Allerton a été fondée en 2003 suite à l'obtention à Cannes de la Palme d'Or du DVD sur le coffret Carlotta des films de Paul Morrissey Flesh, Trash et Heat. On avait réalisé cinq heures de bonus et présenté le DVD. La société n'était pas encore formée et, suite à ce prix, on a démarché un certain nombre d'éditeurs DVD pour continuer. Devant le nombre important de commandes, on a crée Allerton. A partir de là s'est développée une ligne de fabrique singulière, inspirée par ce que nous avions fait sur les Paul Morrissey : des suppléments de qualité pour comprendre au maximum les films et retirer leur substantifique moelle. Autrement dit, expliquer en quoi ces films nous passionnaient en se démarquant de ce que font les américains. Eviter le factuel et essayer de trouver à chaque fois des angles d'attaque originaux. Nous avons alors été amenés à travailler pendant deux ans avec Warner, MK2, TF1, Arte et Carlotta, ce dernier étant notre client principal puisque l'on a travaillé dès les débuts main dans la main avec Vincent Paul Boncourt (Le gérant, NDR). On a fabriqué à ce jour 70 DVD approximativement, ce qui représente grosso modo 60 heures de programmes. Ce sont des bonus assez divers : cela va de l'analyse de film à l'entretien classique avec les auteurs, les acteurs des spécialistes encore de ce monde en passant par des angles plus originaux comme ce que l'on a pu faire cet été sur le coffret Barbet Schroeder.

Vous avez développé avec Carlotta une relation privilégiée. Vous ne travaillez pas avec eux comme vous avez pu le faire avec Warner ou MK2, par exemple.
Nous ne collaborons plus avec MK2 et Warner. Le premier réalise maintenant tous ses suppléments en interne tandis que le second n'a été qu'un « coup » pour quatre titres européens mais il est vrai que nous n'avions pas le même rapport au DVD à l'époque. Maintenant, notre approche de travail avec Carlotta est similaire à celle d'Arte. Ce sont des clients qui regardent beaucoup les contenus en amont, avec lesquels on effectue un brainstorming ensemble. Ils proposent même des lignes directrices et sont ouverts à toute proposition alors que nous avions une carte blanche totale avec Warner et MK2. On nous accordait un budget et nous faisions comme bon nous semblait. Vincent Paul Boncourt, lui, a déjà des idées avant de commencer à travailler. Il a une vision cinéphile et comprend assez vite comment communiquer les choses, cela nous permet souvent d'éviter certaines évidences.

Quel est le processus créatif pour imaginer un bonus digne du monument de Billy Wilder ?
Au départ, Vincent nous a proposé le film. Je l'ai revu plusieurs fois parce que l'on part souvent sur les évidences, les souvenirs qui se sont cristallisés : le sacro-saint du film noir, une des œuvres majeures de Billy Wilder, Barbara Stanwyck en femme fatale, le crime hors champ, etc. Ensuite, je discute avec Vincent qui nous révèle ce qu'il aimerait voir dans le temps imparti (35 minutes ici, NDR.) A partir de là, la tâche de choisir entre plusieurs mini modules ou un seul supplément nous revient. Vincent nous a imposé plusieurs axes comme la figure de la femme fatale et en quoi c'est un film noir par excellence. Bien qu'intéressé, je souhaitais emprunter des chemins de traverse pour arriver à démontrer des aspects plus subtils que ces évidences. J'ai fait la connaissance de Kinga Wyrzykowska. Ancienne de Normal Sup', elle a travaillé sur la littérature, le théâtre et les mécanismes de narration. J'ai voulu collaborer avec elle parce qu'elle avait la distance que n'ont pas forcément les personnes comme nous qui baignons en permanence dans le cinéma. Elle a vu des choses sur ce que je ressentais mais elle a su y mettre des mots. Ses écrits ont ainsi servi de base à La Dernière Cigarette. Avant sa rencontre, plusieurs étapes se sont déroulées. Les premiers brainstormings ont eu lieu en juin, juillet fut la période de peaufinage et de recherche des intervenants et août fut consacré au tournage ainsi qu'au début du montage qui a duré trois semaines (plus l'enregistrement de la voix-off et les retouches dans le texte…) Il y avait donc plusieurs pistes possibles. Vincent désirait un module à propos de l'influence du film sur d'autres cinéastes comme De Palma, Lynch sans parler des frères Coen, et un autre intitulé Variation sur la fin à propos de la fin originale que Wilder a tournée mais pas retenue. Puis Kinga et moi nous sommes demandé le pourquoi d'une telle décision. Cette interrogation fut à la base de tout, de cette fin supprimée on est passé au personnage principal et du choix de sa mort pour arriver à LA question : qu'est ce qu'un personnage de film noir ?

Ce texte/colonne vertébrale du bonus, comment le matérialiser en termes de mise en image ?
On a procédé par aller/retour. Les passages d'analyse pure ont été écrits en fonction des scènes et ça me simplifie le travail puisqu'il suffit de marier images et analyse. Cela se complique davantage avec les moments abstraits. Quand certaines choses étaient annoncées dans le texte, je me contentais d'illustrer. Pour le reste, j'ai fait appel à mon intuition. Certaines images me sont venues naturellement à l'esprit et, lorsque j'ai consulté Kinga pour d'éventuelles objections, elle avait pensé à des choses similaires. Parce qu'il faut savoir que les intervenants ne participent généralement pas à cette étape et c'est à nous d'illustrer avec pertinence des propos parfois un peu trop conceptuels. En général, on s'en sort bien parce que les retours sont positifs. Pour Kinga, ce fut jubilatoire de découvrir son texte bien assimilé par les images et les intonations du comédien qui n'a pas vu non plus les images (ni du film, ni du bonus).

La mise en scène de ce bonus sort de l'ordinaire avec son image très travaillée jusque dans les interviews. Avez-vous parfois recours au story-board ?
Jamais. En ce qui concerne les intervenants, on souhaitait dès le départ que cette analyse soit conduite par un narrateur qui intuitivement se poserait des questions semblables aux nôtres. On s'est dit que ce serait intéressant d'imaginer une voix off d'un enquêteur privé trouvant lui-même parfois des réponses à ses propres interrogations. Mais comme il ne peut pas répondre à tout, il fait des recherches l'amenant à rencontrer des témoins. Par ce postulat de base, on a voulu avec les prises de vue des intervenants affirmer le regard de la caméra. On a donc tourné sans pied. Pour Marc Cerisuelo, on a flouté le premier plan en plaçant un objet très près de l'objectif et on l'a filmé uniquement en ¾ face. Angle étrange qui est probablement à l'origine de ses coups d'œil inquiet tout au long son intervention. Pour Jean Pierre Morel, on a tourné à travers une sculpture trouée.

Après une expérience de 60 heures de création de bonus, est ce que La Dernière Cigarette figure parmi vos préférés ?
Oui. A un moment donné, on a tendance à se répéter dans la conception de suppléments : une analyse de film, un entretien, etc. Dans le cas de La Dernière Cigarette, on a confronté pour la première fois la voix-off avec les entretiens. Cela m'a vraiment beaucoup plu parce que c'est une façon originale d'accompagner le film et d'intéresser les gens plus fortement. On a mélangé le démonstratif, le ludique et la caution des intervenants. Nous n'avons pas la connaissance du cinéma de Marc Cerisuelo et celle de Jean-Pierre Morel, plus structuraliste. Ce qui fait aussi la qualité de ce bonus, à mon sens, c'est que nous avons eu des surprises. Marc Cerisuelo (Professeur d'histoire du cinéma à Paris III, NDR) a confirmé un certain nombre de nos intuitions alors que Jean-Pierre Morel (professeur de littérature comparée à Normal Sup', NDR) devait intervenir à la base sur les différences/similitudes du film de Wilder avec le texte original de James M. Cain. Mais Morel a été bluffant dans la mesure où il nous a orienté vers une interprétation du film que l'on avait sous-estimée : l'esprit de liberté de Walter Neff et la dimension métaphysique du film lorsque Wilder choisit de faire mourir son héros sur son lieu de travail. On a alors compris que cette confession à la première personne était autant une affaire de dédouanement que d'auto affirmation. L'anti-déterminisme en somme.

Qu'est ce qui fait, selon vous, un excellent bonus ?
Un excellent bonus est celui qui formule des éléments fournis par le film que nous n'avons pas su saisir consciemment, un peu à la manière d'un professeur essayant de faire ressortir des choses tapies en nous. C'est d'ailleurs pour cela que j'aime les analyses de film. J'aime récupérer la lenteur pour pouvoir rentrer dans les films. Ces bonus donnent l'impression d'avoir eu un deuxième rendez-vous avec le film.

Quels sont les suppléments ou les making of qui vous ont durablement marqué ?
J'aime beaucoup Lost in la Mancha qui ferait presque figure de bonus idéal dans le sens où on est dans la fabrication d'un film qui ne se fera pas. Je n'oublierai pas non plus Heart of Darkness, l'incontournable making of d'Eleanor Coppola pendant la déroute Apocalypse Now parce qu'il combine interventions contemporaines et archives d'époque. J'avais adoré le documentaire de Werner Herzog sur ses tournages impossibles avec Klaus Kinski (Ennemis intimes, NDR).

 

 

Merci à Allerton Films et Carlotta

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