Assurance sur la mort en DVD chez Carlotta : Allerton Films et son supplément exclusif
Cette dernière partie de notre dossier consacré à la production du DVD d'Assurance sur la mort
chez Carlotta est l'occasion de revenir sur ce qui a fait la réputation
de l'éditeur. Le rendez-vous est donc pris avec Allerton, une société
spécialisée dans la création de suppléments DVD collaborant
régulièrement avec Carlotta. Installé confortablement dans une salle de
visionnage dernier cri (dans laquelle un comparatif probant des pistes
Dolby et DTS Mono du film a lieu), nous assistons à la projection de La Dernière Cigarette,
documentaire exclusif venant compléter le pack de bonus déjà présent
sur le DVD américain Universal. Et c'est une belle surprise : cela
faisait longtemps que les DVDphages que nous sommes n'avions pas
regardé un supplément où intelligence et maîtrise formelle se tiraient
autant la bourre et ce, au point de redécouvrir le film. Après ce grand
moment d'interactivité DVD dont nous vous proposons un extrait vidéo,
voici le temps de poser nos questions à Nicolas Ripoche, le réalisateur
de cette réussite.
Pourriez vous nous parler de la société Allerton, de son histoire ainsi que son approche dans les bonus ?
La
société Allerton a été fondée en 2003 suite à l'obtention à Cannes de
la Palme d'Or du DVD sur le coffret Carlotta des films de Paul
Morrissey Flesh, Trash et Heat.
On avait réalisé cinq heures de bonus et présenté le DVD. La société
n'était pas encore formée et, suite à ce prix, on a démarché un certain
nombre d'éditeurs DVD pour continuer. Devant le nombre important de
commandes, on a crée Allerton. A partir de là s'est développée une
ligne de fabrique singulière, inspirée par ce que nous avions fait sur
les Paul Morrissey : des suppléments de qualité pour comprendre au
maximum les films et retirer leur substantifique moelle. Autrement dit,
expliquer en quoi ces films nous passionnaient en se démarquant de ce
que font les américains. Eviter le factuel et essayer de trouver à
chaque fois des angles d'attaque originaux. Nous avons alors été amenés
à travailler pendant deux ans avec Warner, MK2, TF1, Arte et Carlotta,
ce dernier étant notre client principal puisque l'on a travaillé dès
les débuts main dans la main avec Vincent Paul Boncourt (Le gérant, NDR).
On a fabriqué à ce jour 70 DVD approximativement, ce qui représente
grosso modo 60 heures de programmes. Ce sont des bonus assez divers :
cela va de l'analyse de film à l'entretien classique avec les auteurs,
les acteurs des spécialistes encore de ce monde en passant par des
angles plus originaux comme ce que l'on a pu faire cet été sur le
coffret Barbet Schroeder.
Vous avez développé avec Carlotta une relation privilégiée. Vous
ne travaillez pas avec eux comme vous avez pu le faire avec Warner ou
MK2, par exemple.
Nous ne collaborons plus avec MK2 et Warner. Le premier réalise
maintenant tous ses suppléments en interne tandis que le second n'a été
qu'un « coup » pour quatre titres européens mais il est vrai que nous
n'avions pas le même rapport au DVD à l'époque. Maintenant, notre
approche de travail avec Carlotta est similaire à celle d'Arte. Ce sont
des clients qui regardent beaucoup les contenus en amont, avec lesquels
on effectue un brainstorming ensemble. Ils proposent même des lignes
directrices et sont ouverts à toute proposition alors que nous avions
une carte blanche totale avec Warner et MK2. On nous accordait un
budget et nous faisions comme bon nous semblait. Vincent Paul Boncourt,
lui, a déjà des idées avant de commencer à travailler. Il a une vision
cinéphile et comprend assez vite comment communiquer les choses, cela
nous permet souvent d'éviter certaines évidences.
Quel est le processus créatif pour imaginer un bonus digne du monument de Billy Wilder ?
Au
départ, Vincent nous a proposé le film. Je l'ai revu plusieurs fois
parce que l'on part souvent sur les évidences, les souvenirs qui se
sont cristallisés : le sacro-saint du film noir, une des uvres
majeures de Billy Wilder, Barbara Stanwyck en femme fatale, le crime
hors champ, etc. Ensuite, je discute avec Vincent qui nous révèle ce
qu'il aimerait voir dans le temps imparti (35 minutes ici, NDR.)
A partir de là, la tâche de choisir entre plusieurs mini modules ou un
seul supplément nous revient. Vincent nous a imposé plusieurs axes
comme la figure de la femme fatale et en quoi c'est un film noir par
excellence. Bien qu'intéressé, je souhaitais emprunter des chemins de
traverse pour arriver à démontrer des aspects plus subtils que ces
évidences. J'ai fait la connaissance de Kinga Wyrzykowska. Ancienne de
Normal Sup', elle a travaillé sur la littérature, le théâtre et les
mécanismes de narration. J'ai voulu collaborer avec elle parce qu'elle
avait la distance que n'ont pas forcément les personnes comme nous qui
baignons en permanence dans le cinéma. Elle a vu des choses sur ce que
je ressentais mais elle a su y mettre des mots. Ses écrits ont ainsi
servi de base à La Dernière Cigarette. Avant sa rencontre,
plusieurs étapes se sont déroulées. Les premiers brainstormings ont eu
lieu en juin, juillet fut la période de peaufinage et de recherche des
intervenants et août fut consacré au tournage ainsi qu'au début du
montage qui a duré trois semaines (plus l'enregistrement de la voix-off
et les retouches dans le texte
) Il y avait donc plusieurs pistes
possibles. Vincent désirait un module à propos de l'influence du film
sur d'autres cinéastes comme De Palma, Lynch sans parler des frères
Coen, et un autre intitulé Variation sur la fin à propos de la
fin originale que Wilder a tournée mais pas retenue. Puis Kinga et moi
nous sommes demandé le pourquoi d'une telle décision. Cette
interrogation fut à la base de tout, de cette fin supprimée on est
passé au personnage principal et du choix de sa mort pour arriver à LA
question : qu'est ce qu'un personnage de film noir ?
Ce texte/colonne vertébrale du bonus, comment le matérialiser en termes de mise en image ?
On
a procédé par aller/retour. Les passages d'analyse pure ont été écrits
en fonction des scènes et ça me simplifie le travail puisqu'il suffit
de marier images et analyse. Cela se complique davantage avec les
moments abstraits. Quand certaines choses étaient annoncées dans le
texte, je me contentais d'illustrer. Pour le reste, j'ai fait appel à
mon intuition. Certaines images me sont venues naturellement à l'esprit
et, lorsque j'ai consulté Kinga pour d'éventuelles objections, elle
avait pensé à des choses similaires. Parce qu'il faut savoir que les
intervenants ne participent généralement pas à cette étape et c'est à
nous d'illustrer avec pertinence des propos parfois un peu trop
conceptuels. En général, on s'en sort bien parce que les retours sont
positifs. Pour Kinga, ce fut jubilatoire de découvrir son texte bien
assimilé par les images et les intonations du comédien qui n'a pas vu
non plus les images (ni du film, ni du bonus).
La mise en scène de ce bonus sort de l'ordinaire avec son image
très travaillée jusque dans les interviews. Avez-vous parfois recours
au story-board ?
Jamais.
En ce qui concerne les intervenants, on souhaitait dès le départ que
cette analyse soit conduite par un narrateur qui intuitivement se
poserait des questions semblables aux nôtres. On s'est dit que ce
serait intéressant d'imaginer une voix off d'un enquêteur privé
trouvant lui-même parfois des réponses à ses propres interrogations.
Mais comme il ne peut pas répondre à tout, il fait des recherches
l'amenant à rencontrer des témoins. Par ce postulat de base, on a voulu
avec les prises de vue des intervenants affirmer le regard de la
caméra. On a donc tourné sans pied. Pour Marc Cerisuelo, on a flouté le
premier plan en plaçant un objet très près de l'objectif et on l'a
filmé uniquement en ¾ face. Angle étrange qui est probablement à
l'origine de ses coups d'il inquiet tout au long son intervention.
Pour Jean Pierre Morel, on a tourné à travers une sculpture trouée.
Après une expérience de 60 heures de création de bonus, est ce que La Dernière Cigarette figure parmi vos préférés ?
Oui.
A un moment donné, on a tendance à se répéter dans la conception de
suppléments : une analyse de film, un entretien, etc. Dans le cas de La Dernière Cigarette,
on a confronté pour la première fois la voix-off avec les entretiens.
Cela m'a vraiment beaucoup plu parce que c'est une façon originale
d'accompagner le film et d'intéresser les gens plus fortement. On a
mélangé le démonstratif, le ludique et la caution des intervenants.
Nous n'avons pas la connaissance du cinéma de Marc Cerisuelo et celle
de Jean-Pierre Morel, plus structuraliste. Ce qui fait aussi la qualité
de ce bonus, à mon sens, c'est que nous avons eu des surprises. Marc
Cerisuelo (Professeur d'histoire du cinéma à Paris III, NDR) a confirmé un certain nombre de nos intuitions alors que Jean-Pierre Morel (professeur de littérature comparée à Normal Sup', NDR)
devait intervenir à la base sur les différences/similitudes du film de
Wilder avec le texte original de James M. Cain. Mais Morel a été
bluffant dans la mesure où il nous a orienté vers une interprétation du
film que l'on avait sous-estimée : l'esprit de liberté de Walter Neff
et la dimension métaphysique du film lorsque Wilder choisit de faire
mourir son héros sur son lieu de travail. On a alors compris que cette
confession à la première personne était autant une affaire de
dédouanement que d'auto affirmation. L'anti-déterminisme en somme.
Qu'est ce qui fait, selon vous, un excellent bonus ?
Un
excellent bonus est celui qui formule des éléments fournis par le film
que nous n'avons pas su saisir consciemment, un peu à la manière d'un
professeur essayant de faire ressortir des choses tapies en nous. C'est
d'ailleurs pour cela que j'aime les analyses de film. J'aime récupérer
la lenteur pour pouvoir rentrer dans les films. Ces bonus donnent
l'impression d'avoir eu un deuxième rendez-vous avec le film.
Quels sont les suppléments ou les making of qui vous ont durablement marqué ?
J'aime beaucoup Lost in la Mancha
qui ferait presque figure de bonus idéal dans le sens où on est dans la
fabrication d'un film qui ne se fera pas. Je n'oublierai pas non plus Heart of Darkness, l'incontournable making of d'Eleanor Coppola pendant la déroute Apocalypse Now
parce qu'il combine interventions contemporaines et archives d'époque.
J'avais adoré le documentaire de Werner Herzog sur ses tournages
impossibles avec Klaus Kinski (Ennemis intimes, NDR).
Merci à Allerton Films et Carlotta